Juin 2017, les actualités scientifiques de Jacques

Il s’agit d’un gros mois. J’en retiens en particulier.
– Cryo-ME. Du succès méthodologique on passe lentement à des avancées en biologie fondamentale en attendant les percées médicales qui se préparent.
(Attention qu’Alain et Marc n’aient pas à me demander: « pourquoi tant de promesses? »)
– 1er juin. Biodiversité. Savez-vous expliquer pourquoi il faut la défendre? Si votre réponse est  « c’est évident » c’est que vous n’en savez pas grand-chose, mais la présente rubrique peut faire réfléchir.
– 8 juin. 60 ans de pilule méritent une petite pensée.
– 15 juin. Il y en a pour tous, La Venise time machine des Humanités digitales pour Jürg et l’épigénétique de la mémoire par l’acétyl-CoA pour Laurée.
– 22 juin. Comment les arbres très vieux font-ils pour ne pas vieillir ? Le grand chêne de Dorigny apporte une solution inattendue grâce  à notre collègue Philippe Reymond.
-J’aime beaucoup la découverte rapportée en page 492. L’oreille interne nous indique notre orientation. Notre vision nous informe de notre position dans le milieu. Ici est expliqué comment ces deux informations sont coordonnées.
– 29 juin. Nous avons 3 ans pour sauver le climat. L’article nous dit pourquoi et comment. À ne pas manquer. 
– Difficile mais fascinante physique quantique. On peut essayer de s’y frotter même sans entrer dans les détails.

Nous gardons un oeil attentif sur la cryo-ME.

Tsai, C. J., Standfuss, J., & Glaeser, R. M. (2017). Structural biology: Signalling under the microscope. Nature, 546(7656), 36-37. doi:10.1038/nature22491. Il s’agit de commentaires sur l’article suivant.

Liang, Y. L., Khoshouei, M., Radjainia, M., Zhang, Y., Glukhova, A., Tarrasch, J., . . . Sexton, P. M. (2017). Phase-plate cryo-EM structure of a class B GPCR-G-protein complex. Nature, 546(7656), 118-123. doi:10.1038/nature22327

GPCR fig Il y a des milliers de récepteurs différents couplés à la protéine G. (GPCR.) Ils sont les principaux médiateurs de l’information passant de l’extérieur à l’intérieur des cellules. En 2011 la structure d’un membre de la classe A de ces protéines membranaires avait été résolue par diffraction X. Pour ce faire, Rassmussen et ses collègues avaient modifié la protéine pour stabiliser toutes les parties instables afin de pouvoir obtenir un bon cristal. Travail remarquable qui leur a valu un PN l’année suivante.

Ici, il s’agit du récepteur de l’hormone calcitonine, un membre de la classe B des GPCR. Puisqu’il s’agit de cryo-ME, pas besoin des détours que nécessite la cristallisation. De plus, comme le montre la figure, la structure obtenue met en évidence les régions mobiles de la protéine ce qui est le début de la détermination des changements conformationnels et de la description dynamique de la fonction de la protéine.

Loveland, A. B., Demo, G., Grigorieff, N., & Korostelev, A. A. (2017). Ensemble cryo-EM elucidates the mechanism of translation fidelity. Nature, 546(7656), 113-117. doi:10.1038/nature22397.
Nous aurions probablement pu avoir Grigorieff à Lausanne; ils ont préféré un moins cher.
La question est comment se fait-il qu’un ribosome fasse si peu de fautes? Cette question est étudiée en analysant le site de liaison du codon avec un tRNA normal ou avec un tRNA légèrement faussé. Il est montré que la liaison s’effectue en deux temps: un premier temps exploratoire puis un temps de confirmation.
C’est exactement à ce genre de subtilités conformationnelles que la cryo-ME permet d’accéder.

Zhang, Y., Sun, B., Feng, D., Hu, H., Chu, M., Qu, Q., . . . Skiniotis, G. (2017). Cryo-EM structure of the activated GLP-1 receptor in complex with a G protein. Nature, 546(7657), 248-253. doi:10.1038/nature22394
C’est encore l’équipe de Ann Arbor (comme le 2e article ci-dessus) et c’est encore une de ces protéines membranaires qui transmet un signal de l’extérieur jusqu’à la protéine G qui le reçoit à l’intérieur. Cette fois, le signal est donné par l’hormone glucagon qui, avec l’insuline est le principal régulateur du sucre dans le sang – d’où son importance pour le diabète. En fait, il y a dans ce cahier trois articles structuraux sur cette même protéine. Les deux autres sont des travaux par diffraction X. Je ne peux juger leur importance relative, mais le 2e éditorial de la revue met en évidence l’importance médicale de l’article de cryo-ME.
Ainsi, pour la cryo-me, depuis 4 ans on parle de la révolution que la méthode apporte. Le mois passé, je relevais le changement de paradigme qu’elle fait émerger en biologie structurale moléculaire. Ici, l’éditorialiste se concentre sur le progrès médical que ces résultats font espérer.

Taylor, N. M. I., Manolaridis, I., Jackson, S. M., Kowal, J., Stahlberg, H., & Locher, K. P. (2017). Structure of the human multidrug transporter ABCG2. Nature, 546(7659), 504-509. doi:10.1038/nature22345.
De nouveau les Bâlois.

Plaschka, C., Lin, P.-C., & Nagal, K. (2017). Structure of a pre-catalytic spliceosome. Nature, 546(7660), 617 – 621. doi:10.1038/nature22799

 

01.06.2017, Nature 546, 7656.

– 15 – 16. THÉRAPIE, CELLULE SOUCHE, PARKINSON, CHINE. Marianne. « news in focus ». Première tentative sérieuse de thérapie cellulaire de Parkinson par cellules souches. Voyez l’idée. Certaines de vos cellules ne fonctionnent pas correctement, dans le cœur après un infarctus, dans la tête comme c’est habituel quand on vieillit. Pas de problème, on vous injecte quelques cellules souches de la bonne nature qui, en se multipliant et se différentiant, restituent la fonction défectueuse. L’idée est si belle, si simple qu’elle attire des malades désespérés et des pseudothérapeutes malhonnêtes que certains pays – les USA ou la Chine en particulier – laissent faire. Pas tout à fait. Depuis 2015 les Chinois ont introduit une règlementation sévère sur les thérapies bidon. Ils prévoient même la peine de mort dans les cas graves.

Ceci ne les empêche pas de lancer incessamment deux essais pionniers. Dans le premier, des cellules souches neuronales seront injectées directement dans le cerveau de personnes souffrant de Parkinson dans l’espoir que quelque chose de positif se passe dans les mois suivants. Dans la seconde, d’autres cellules souches convenablement préparées seront injectées dans l’œil de personnes souffrant de dégénérescence maculaire. Européens/US critiquent ces essais qu’ils jugent mal préparés, mais ils prévoient de lancer 5 expériences semblables dans les 2 ans à venir.

À suivre de près.

 

– 47 – 99. BIODIVERSITÉ, CONSERVATION. Cahier spécial

Argumenter la biodiversité: pas si facile, mais voici quelques arguments. Qui ose ne pas s’alarmer de la perte de biodiversité au temps de l’Anthropocène? Qui ne s’émeut pas de toutes ces espèces qui disparaissent? Nous connaissons notre camp, mais savons-nous bien pourquoi? La menace sur la survie des chimpanzés, d’accord, ça nous touche, mais qu’a-t-on à faire de quelques milliers d’espèces d’insectes en plus ou en moins? La bonne réponse est compliquée. Les 7 articles de ce cahier spécial apportent des éléments de réponse. C’est surtout le premier, La révolution de la biodiversité par R. Cernansky (non pas une chercheuse, mais une journaliste, ce qui est peut-être significatif) qui m’éclaire.

Depuis des dizaines d’années, l’étude de la biodiversité consiste surtout à compter les espèces et à conclure que plus il y en a, plus l’écosystème est stable et résilient. On dépasse petit à petit de paradigme, mais la sortie est laborieuse. Le domaine est aussi contrecarré par l’anarchie de la taxonomie qui n’a pas réussi à se mettre d’accord sur une définition cohérente du mot « espèce ». Ainsi, le nombre d’espèces d’oiseaux double selon que le choix de la définition  est (i) les organismes d’une même espèce produisent des descendants viables en se reproduisent entre eux de manière naturelle ou (ii) deux groupes d’animaux sont des espèces distinctes s’ils ont un ancêtre commun, mais diffèrent physiquement et génétiquement. Avec bien d’autres, ces deux définitions sont couramment utilisées en taxonomie!

Plus fondamentales sont les réflexions concernant les facteurs qui déterminent la biodiversité. Considérons le cas de l’échauffement climatique dans le Jura. Que va devenir l’écosystème du Molendruz? Deux réponses principales: (i) les espèces que l’on trouve actuellement vers Mont-la-ville vont monter; (ii) celles du col vont s’adapter aux nouvelles conditions, soit parce que leur diversité inclut déjà cette possibilité, soit par spéciation et apparition de nouvelles espèces. En fait, on n’en sait pas beaucoup, mais nos collègues de la géobotanique y travaillent fermement. Un gros article de la présente série en donne une approche (Schluter, D., & Pennell, M. W. (2017). Speciation gradients and the distribution of biodiversity. Nature, 546(7656), 48-55. doi:10.1038/nature22897).  Je n’en retiens ici qu’une figure.

Speciation gerad_fig

Il s’agit du gradient de spéciation pour les branches d’oiseaux des Amériques, c’est-à-dire, pour chaque clade, du Log du nombre de nouvelles espèces par millions d’années. NB: Clade: ensemble des espèces de même origine; par exemple, le clade des différentes espèces de pinsons des Galapagos, les pinsons de Darwin.

De cette figure, je retiens deux choses.

1) Le nombre de clades varie énormément avec la latitude même si le taux moyen de spéciation en est à peu près indépendant.

2) La vitesse de spéciation peut varier énormément d’un clade à l’autre. Cinq ordres de grandeur séparent les extrêmes.

Voici deux faits qui n’ont rien d’intuitif. Ils nécessiteront encore beaucoup de travail pour les bien comprendre comme d’ailleurs pour se faire une bonne idée de ce que seront les conséquences à long terme de l’échauffement climatique au Molendruz.

 

8.06. 2017, Nature 546, 7657.

– 185. CONTRÔLE DES NAISSANCES, PILLULE, ENVIRONNEMENT. Harri, Christine B. Il y a 60 ans que la pilule a été admise dans sa première application: le traitement de menstruations désordonnées. Son usage contraceptif a suivi rapidement malgré des blocages remarquables. Le présent éditorial analyse l’effet bienfaisant de cette révolution.

C’est clair, cette révolution est magnifique; elle donne la liberté aux femmes et, à notre société, elle donne la possibilité d’avancer vers l’épanouissement égalitaire des deux sexes. Ainsi, la plus grande conquête de l’histoire de l’humanité est en marche.

Je regrette quand même que la contraception soit ainsi tout entière le fardeau de la femme alors que la contraception masculine devrait être plus facile et moins invasive. Je regrette aussi que des méthodes plus douces et plus naturelles soient négligées.

J’ai un ami qui promeut la « symptothermie »:
https://sympto.ch/home-main_fr.html.

La méthode veut donner à la femme le moyen de s’approprier son cycle menstruel pour maitriser sa fécondité. Elle fait appel à la mesure de température et l’évaluation des sécrétions vaginales. Surtout, elle demande aux femmes de s’observer, aidée de bonnes explications et d’un peu de suivi que le web rend possible. En principe, il n’y a que des avantages.

– empowerment (donner la maitrise) de la femme en ce qui concerne sa fécondité et sa sexualité,

– pas de dénaturation du cycle menstruel.

– pas de dépendance à la pilule commerciale.

– pas de biochimie agressive dans le corps des femmes, dans l’environnement et dans les poissons du lac.

Alors pourquoi la méthode ne se généralise-t-elle pas?

Je ne sais pas. Peut-être est-ce parce que:

– l’argent est dans la chimie

– on dit que la méthode est moins sure – pas très sérieux selon les données de l’expérience et au temps de la pilule du lendemain.

– il y a des habitudes à changer.

Peut-être est-ce comme l’énergie solaire, il serait facile de la généraliser, mais qu’est-ce que ça traine!

La bonne nouvelle, c’est que, l’énergie solaire est enfin en marche.

Le bon espoir, c’est que, pour la contraception naturelle, on s’y mette enfin sérieusement.

 

– 186. DIABÈTE, GLUCAGON. Trois articles sur le récepteur du glucagon et un 2e éditorial qui en discute les conséquences médicales. Voir le § cryo-me au début de ce rapport.

 

– 212 – 3, 293 – 6. PALÉONTOLOGIE, HOMO SAPIENS. Nous sommes plus vieux qu’on ne le croyait. Les plus vieux restes que l’on attribuait jusqu’ici à Homo sapiens viennent de l’Afrique de l’est et datent d’environ 200’000 ans. Dans le présent travail, Richter et al. déterminent l’âge des silex travaillés et associés avec des restes Homo sapiens récemment découverts dans le site du Jebel Irhoud au Maroc. Il est de 315±32 milliers d’années.

Coup de vieux de 100’000 pour notre espèce et suggestion que ces vieux ancêtres étaient mobiles en Afrique.

 

– 297 – 301. SOCIOBIOLOGIE, ATTACHEMENT, MUSARAIGNE DES CHAMPS, AMOUR. Lia. La dynamique de l’activité corticostriatale biaise l’attachement des femelles monogames des musaraignes des champs. Sous ce titre moyennement sexy, les auteurs montrent comment les mécanismes de la gratification sont activés lorsque la musaraigne s’attache à son partenaire.

 

15.6.2017, Nature 546, 7658.

– 327 – 8. OGM, US, REGULATION. Les États-Unis sont presque prêts avec la nouvelle règlementation sur les OGM. Elle est ridicule. Deux organismes seront censés décider ce qui est permis ou ce qui ne l’est pas. La Food and Drug Administration aura ses règles pour tout ce qui est considéré comme animal. Elle demande des évaluations rigoureuses dans un maximum de cas. Le département de l’agriculture s’occupe des plantes avec des exigences beaucoup moins sévères. Par exemple le changement dirigé d’une seule base par CRISPR ne sera pas considéré comme une modification génétique. Et puis il y a la grande incertitude des produits dérivés. Qui va s’occuper d’une molécule de souris produite dans une plante? On ne va pas s’en sortir tant que ce n’est pas l’objet qui est évalué, mais la méthode pour le produire, surtout en un temps où les techniques passent de révolution en révolution. Il semble que la situation est un peu moins confuse en Europe. Le Canada est un des rares pays où la régulation est basée sur les attributs de l’organisme – OGM ou non. Ainsi l’adaptation aux nouvelles méthodes peut se faire de manière raisonnable chez eux.

 

– 341 – 4. HUMANITÉS DIGITALES, SCIENCES HUMAINES, INFORMATIQUE. Jürg R, Geoffrey. Humanités digitales: Lausanne et Venise en binôme gagnant?

Je reçois depuis quelques années les rapports de l’UNIL concernant le projet d’ »Humanités digitales », un effort des sciences humaines pour informatiser leurs connaissances. Je n’y ai pas porté une attention considérable, mais j’ai compris que l’EPFL en fait autant. Frédéric Kaplan en est le directeur. Et puis, récemment, à l’occasion du 50e anniversaire de notre diplôme de physique, nos gentils organisateurs nous ont conduits au nouveau bâtiment de l’EPFL, le ArtLab. On nous y a montré comment le projet des Humanités digitales développe les méthodes pour enregistrer en qualité presque parfaite et rendre accessible des documents de toute nature, historiques ou actuels. On nous a mis dans un studio où l’on peut retrouver, en son et en images, l’ensemble de tout le Montreux Jazz Festival. Dommage, la machine ne marchait pas et j’ai été médiocrement impressionné. On nous a quand même expliqué le projet de lecture rapide de livres par tomographie numérique. Il s’agit de faire une reconstruction 3-D du volume de manière à pouvoir le visualiser en sections, page à page, exactement comme on le fait pour des échantillons de tissus biologiques observés par tomographie de microscopie électronique. À 5µm d’épaisseur par page, c’est un défi sans doute réalisable. Pour lire des bouquins sans les ouvrir, je n’y avais pas pensé.

Le présent article parle d’une autre base de données: l’ensemble des documents que la ville de Venise a accumulé et conservé pendant plus de 1000 ans à Santa Maria Gloriosa dei Frari (ils ont été déplacés, mais sont toujours conservés après le passage de Napoléon en 1797.) Cette collection est semble-t-il incomparable. 80 km de rayons contenant aussi bien les papiers officiels de la ville, les rapports de tous les ambassadeurs (souvent codés) jusqu’aux factures les plus insignifiantes.

Quelques historiens vénitiens courageux avaient lancé un projet de digitalisation de ces données, mais la tâche était hors de leurs possibilités. Ils ont alors pensé aux projets d’Humanités digitales qui agitaient les informaticiens de différents centres de recherche. Il semble que l’idée a fait tilt chez Patrick Aebischer et hop, c’est parti. Selon Nature, c’est grandiose. « The Venice Time Machine will be a game-changer ».

Selon moi, P. Aebischer a fait beaucoup de choses détestables (la financiarisation, l’élitisme, le Rolex-Center), mais il a introduit la biologie à l’EPFL; il fallait le faire, il l’a fait puissamment. Bravo. Je suivrai avec intérêt ce que deviendra la Venise Time Machine.

 

– 361 – 2, 381 – 386. MÉMOIRE, ACETYL-CoA, HISTONE, ÉPIGÉNÉTIQUE. Mews et al. Belle découverte. Laurée.

L’acétyl-CoA est une molécule essentielle à de nombreux métabolismes. L’un d’entre eux est l’acétylation des histones, un des processus clés de l’épigénétique. L’acétyl-CoA est généralement produite dans le cytoplasme selon deux voies métaboliques. L’une d’entre elles fait appel à l’enzyme acetyl-CoA synthetase 2 (ACSS2).

La remarquable découverte rapportée dans ce travail c’est que, durant la maturation des neurones, l’ACSS2 migre du cytoplasme au noyau. Mieux, l’enzyme devenu nucléaire s’attache directement à la chromatine d’où il peut produire sur place l’Acetyl-CoA qui édite les déterminants épigénétiques des histones.

La deuxième partie du travail montre que l’action de l’ACSS2 dans les noyaux neuronaux de l’hippocampe corrèle avec la capacité mémorielle.

Le 7 mai, un article de Science proposait une origine épigénétique pour l’apprentissage. Le présent article éclaire ce qui pourrait être le métabolisme de l’épigénétique de la mémoire. Grosse affaire.

 

22.6.2017, Nature 546, 7659.

– 460 – 1. BIOLOGIE VÉGÉTALE, PUBLICATION. Philippe R.

Le Chêne de Napoléon se retient de vieillir, mais l’annonce de la nouvelle est tortueuse. La majorité des mutations apparaissent lors de la copie du message génétique, c’est-à-dire quand les cellules se dédoublent. Comme les mutations  sont généralement néfastes, les organismes multicellulaires tentent de s’en protéger. Ainsi les cellules germinales des animaux sont isolées de manière précoce durant le développement de l’organisme avec seulement un minimum de duplications. Et chez les plantes? On peut imaginer qu’une cellule souche avançant avec la croissance de la branche jusqu’à la formation de la fleur et du fruit est en constante duplication. Ainsi, les cellules du début des plus vieilles branches d’un arbre devraient être en bien meilleur état que les cellules des derniers rameaux. C’est cette hypothèse qu’a testée notre collègue et ami Philippe Reymond sur le fameux Chêne Napoléon de Dorigny.

Chêne_Napoleon_fig.

N.B. Avec ce chêne, l’UNIL célèbre stupidement Napoléon alors qu’il n’y a pas de quoi. Il était un criminel de l’humanité, on le sait. Il était aussi un obsédé sexuel perpétrant ses abus tout au long de ses voyages. On raconte que, lors de son passage à Rolle, avant de passer par Dorigny, on avait évité les problèmes prévisibles en déguisant en jeunes filles les garçons qui faisaient la claque au passage du « héros ». (Tiré d’une vieille lecture que je serais bien incapable de retrouver.)

Le résultat: les cellules souches accumulent beaucoup moins de mutations que les cellules somatiques normales (celles qui forment la « chaire » de l’arbre). Comment l’expliquer? Une possibilité serait que les cellules souches de la croissance des rameaux sont poussées en avant par la masse des autres cellules en multiplications, sans qu’elles se divisent elles-mêmes. Si le résultat est confirmé et l’explication validée, le travail de Philippe Reymond et ses collègues serait de toute première importance.

C’est là que les choses prennent une tournure désagréable. Soumis à Nature, la revue en a refusé la publication de l’article. Les auteurs l’ont alors soumis à un autre journal où l’article est actuellement en évaluation. Sans doute sous pression du temps, et d’autres groupes peut-être, ils l’ont aussi fait paraitre sur un site de mise à disposition avant acceptation officielle: bioRxiv. C’est là que les journalistes de la rédaction de Nature le découvrent et font rapport sur cette importante percée. Ils veulent interviewer Philippe Reymond qui, naturellement, refuse à cause de l’embargo sur les publications en cours d’évaluation. Pour plus d’information, ils s’adressent alors aux personnes qui leur tombent sous la main, c’est-à-dire, avec un peu de chance, les concurrents scientifiques. Quel gâchi!

La science ouverte est un projet magnifique, mais sans gouvernance solide, elle sera la source d’un vaste chaos.

 

– 463. Voir aussi 15 juin, p. 360 -1. GWAS, SÉQUENÇAGE, POPULATION, MALADIE. Ils ne sont pas d’accord.

15 juin, p. 360, un premier commentaire. Ce rapport célèbre 10 ans de GWAS (genome wide association studies), cette approche qui consiste à séquencer massivement le génome d’un grand nombre d’individus ayant la même pathologie afin d’en trouver la cause génétique. Quand le nombre d’individus augmente, la méthode s’étend à n’importe quel trait phénotypique. C’est ainsi que l’on remarque qu’il est exceptionnel qu’on puisse parler du gène d’une maladie ou d’un trait particulier. Le plus souvent ce sont de nombreux gènes qui contribuent chacun pour un peu.

22 juin, p. 463, autre commentaire à propos d’un article de Boyle et al. dans Cell, le 15 juin.  … chacun pour un peu. C’est justement là qu’est le problème. Prenons un trait phénotypique particulièrement simple: la taille. Déjà on a identifié 400 régions du génome qui contribuent, mais la plus influente compte pour moins de 5% de l’effet. Ainsi pour n’importe quelle maladie, en particulier pour les troubles psychichiâtriques, plus on cherche, plus on trouve de responsables génétiques de plus en plus diluées. Le rapport conclut ainsi: GWAS n’apportera pas grand-chose tant que l’on ne comprendra pas comment ce vaste réseau est connecté.

 

– 476 – 7. 492 – 7. NEUROBIOLOGIE, PERCEPTION, ORIENTATION, MOUVEMENT. L’oreille interne nous indique notre orientation. Notre vision nous informe de notre position dans le milieu. Ici est expliqué comment ces deux informations sont coordonnées. C’est très joli.

Retine_orientation_mouvement_fig

La figure montre le mouvement de l’image sur la rétine d’une souris. La figure (b) montre le cas d’un mouvement de translation: la souris avance tout droit dans la direction représentée par le point rouge tandis que le centre de la vision est centré sur le rectangle bleu (contrairement à l’homme la souris n’a pas les deux yeux parallèles) La figure (c) représente le cas de la souris qui tourne la tête horizontalement.

Les cellules DSGCs (direction sensitive ganglion cells) de la rétine réagissent uniquement  à une direction spécifique du mouvement de l’image. Le présent travail montre qu’il en existe deux types. (i) Il y a celles qui réagissent à la direction du mouvement et qui parlent ainsi du changement d’orientation de la tête de la souris (cas c). Cette information se combine directement avec les données venant de l’oreille interne. (ii) L’autre groupe de cellules DSGCs réagit au gradient de vitesse. Comme les premières ces cellules réagissent à la direction et vitesse de déplacement du point de l’image, mais en plus elles comparent ces données entre cellules voisines et déterminent combien le vecteur déplacement varie d’un point à l’autre de la rétine. Ces cellules ne parlent pas d’orientation, mais de mouvement.

Que voici une élégante façon de déconvoluer des informations complexes en deux composantes simples. Belle illustration de l’évolution créative.

 

29.6.2017, Nature 546, 7660.

– 593 – 5. CLIMAT, POLITIQUE, OPTIMISME. Jean-Claude K., Laurence et Jean M. et bien d’autres. Trois ans pour sauver notre climat. Le temps passe, les choses se précisent par (i) ce que l’on sait du changement climatique et par (ii) les actions politiques qui sont menées de par le monde. Ainsi, on sait ce que l’on veut (limiter l’échauffement à 1.5 – 2°) et on sait ce que l’on doit faire (on peut se permettre d’émettre 600.109 tonnes de CO2 équivalents avant que l’on ait atteint zéro d’émission globale).

3 years for climat fig

Comme le montre la figure, les prochaines années seront critiques pour déterminer combien de temps il nous reste pour atteindre le but. Nous notons en particulier que, quel que soit le scénario,  c’est avant 2050 qu’il faut atteindre ce fameux zéro. Nous Suisse avec notre stratégie Énergie 2050 nous sommes encore loin du compte.

L’article par Christina Figueres, vice-présidente de la Convention des maires pour l’énergie et le climat ainsi que 5 autres auteurs d’engagements semblables discutent 6 lignes stratégiques qui, conjointement, permettraient d’atteindre le but. Elles sont faisables moyennant une bonne dose d’optimiste et l’engagement qui va avec (c’est le 6e point de la liste).

Cet optimisme n’est pas insensé. J’en ressors encore plus convaincu après la conversation téléphonique avec Daniel K., un professionnel de l’évaluation de la consommation d’énergie. Il est effaré par le rythme de changement dans plusieurs domaines. Par exemple (i) l’industrie automobile est en train de virer à toute vitesse vers l’électrique – ils voient que c’est commercialement bon. (ii) Le photovoltaïque devient – s’il ne l’est pas déjà – la source d’électricité la meilleure marché et surtout, la plus facile et rapide à installer. J’y ajoute que (3) les 19m2 photovoltaïque qui fonctionne sur notre toit depuis un an et demi couvre presque la moitié de notre consommation électrique, chauffage inclus. Pas bien cher et facile, faire mieux l’est aussi.

Mais quand même, il va falloir pousser ferme.

 

– 602 – 3, 622 – 626. CORRÉLATION QUANTIQUE, PHOTONS, QBIT. Les physiciens. M. Kues et une vaste collaboration internationale. Une plaisante façon de produire des photons corrélés.

Un des derniers cours que j’ai suivi à la fin de mes études de physique en 1966 était donné par Robert Mercier, il s’intitulait « optique non linéaire ». Très bon! Ce domaine de l’optique en était à ses débuts. Depuis, il y a eu des progrès phénoménaux, mais le principe reste le même. Quand une onde électromagnétique (un photon) en croise une autre, ils s’additionnent bêtement, comme 1+1=2. Quand la rencontre se passe par l’intermédiaire d’un tiers, un atome par exemple, l’affaire devient plus compliquée, du genre (a+b)2, et apparaissent les termes croisés typiques des interactions non linéaires. Il en résulte les lasers et beaucoup de cette mystérieuse physique qui abandonne l’idée de localisation des phénomènes et qui cherche à contrôler les états quantiques corrélés. Quand je suis arrivé à la retraite, pour me mettre un peu à jour en biologie, j’ai suivi un cours de biologie des populations; ce fut important. Il faudrait que j’en fasse de même avec l’optique non linéaire, mais la réalisation de se rêve est impossible parce qu’il passe par des mathématiques desquelles j’ai décroché depuis longtemps. Dommage.

quantum generator fig

La figure (a) montre, en haut, le faisceau laser (fréquence rouge en b) « touchant » le résonateur dans lequel se charge, par quelque phénomène non linéaire, une paire de photons extraits du faisceau initial. Leur longueur d’onde, quantifiée par le résonateur,  ne peut être qu’un multiple entier de la longueur du résonateur. Le transit se poursuit et, quelquefois, une paire de photons est émise dans la fibre du bas. Parce que l’énergie se conserve, l’énergie de la paire des nouveaux photons (ceux du bas) est égale à celle des deux photons initiaux (ceux du haut, rouge en b), pourtant – et c’est la première chose remarquable – chacun peut avoir une énergie différente, augmentée pour l’un, diminuée pour l’autre comme les fréquences  vertes ou bleues en b). Deuxième propriété remarquable: ces paires de photons d’énergie divers sont corrélées, ou enlacées pour utiliser un autre mot. Cela veut dire, par exemple, que si les deux photons de la paire vont chacun de leur côté, et que mesurant celui qui passe, disons chez nous à Morges, et constatant que son énergie correspond au 3e pic vert compté depuis la gauche (b), alors, à cet instant, immédiatement, l’autre photon, qui est peut être à Dorigny ou derrière la Lune, se matérialise dans l’énergie bleue du 3e pic depuis la droite. C’est la téléportation quantique de l’information, la porte ouverte aux calculateurs quantiques, etc. Ce n’est pas l’expérience qui est rapportée dans cet article, mais le principe y est, du moins je l’espère, correctement décrit ici.

 

– 603 – 4, 646 -50. MALADIES ÉMERGENTES, ÉPIDÉMIE, VIRUS. Le médecin cantonal. Quelle sera la prochaine de ces épidémies virales que nous transmettent les mammifères? Impossible d’y répondre, mais pour y penser sur une base raisonnable, il faut des faits et des évidences. Cet article les recherche à trois niveaux.

– D’abord ce sont 750 espèces animales, 2800 associations virus-animal. Tous les virus connus sont inclus.

– Puis se sont les possibilités que le virus de l’animal passe à l’homme. Par exemple, il s’agit de savoir quel est le virus le mieux capable de passer à l’homme, celui venant du singe dont les gènes sont proches des nôtres ou celui venant des rats dont nous partageons le territoire? Il y a beaucoup de données, en particulier celles qui permettent de prédire l’étendue des données manquantes.

– Enfin c’est la capacité du virus à transformer un passage à l’homme en une maladie puis en une épidémie.

C’est à partir de ces données que devraient se construire la politique de santé publique et la préparation aux épidémies. Évidemment, le libre accès  aux données est le préréquisit de toute politique raisonnable.

 

O2.07.2017.WHO, EBOLA, MSF, RDC

Épidémie d’Ebola au nord de la République Démocratique du Congo est déclarée terminée depuis le 2 juillet par le WHO, 2×21 jours après la fin du dernier cas. Selon les déclarations officielles, quatre personnes sont mortes, 4 ont survécu et près de 600 contacts ont été suivis. Du récit des participants il est difficile d’imaginer que le nombre de cas ait été si faible.

http://www.who.int/emergencies/ebola-DRC-2017/en/

Nous sommes intéressés par cette nouvelle étant donné que Arjun est en mission en RDC pour MSF (pas dans cette région toutefois.)