Juin 2018, actualité scientifique Jacques

07.06.18. Nature 558, 7708

41 – 9. CLIMAT, ÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE, ACCORDS DE PARIS

Un échauffement moyen limité à 1.5°C n’évitera pas de grandes variations régionales.

L’élévation moyenne de température en tant que paramètre global pour évaluer l’évolution du climat est problématique (cf. par exemple, Parcours, p. 144.). Le présent article reprend les buts de la COP 21 (+1.5°C ou +2° à la fin du siècle) pour les analyser plus en détail. Je relève quelques points de cet article enrichi par la discussion que j’ai eue hier avec Thomas Stocker de Berne, coordinateur du rapport scientifique qui a servi de base à la COP21.

On vise généralement 2100 pour évaluer l’avenir, mais 2100 n’est pas la fin. Le CO2 mis dans l’atmosphère s’équilibre rapidement avec le CO2 dans l’eau de surface (15% air/85% eau), d’où l’acidité croissante des mers. L’équilibre avec la masse totale des océans est accéléré par les grands courants circumterrestres.

Une fois le CO2 équilibré dans l’atmosphère, il y est pour très longtemps. Ainsi la température ne redescendra pas quand nous aurons fini de déverser le CO2 dans l’atmosphère. Le phénomène lent comme la montée des eaux due à la fonte des calottes glaciaire est en route pour… 10’000 ans peut-être. Le rapport du GIEC prévoit entre 30 cm et 1m à la fin du siècle. La fonte du gros des calottes glaciaires impliquera 60 – 80 m.

Revenons à l’article rapporté ici. Il essaie de préciser ce que sera l’échauffement selon le scénario (1,5° ou 2°) et selon les grandes zones climatiques. Deux nous intéresse particulièrement.

  • La région méditerranéenne ne s’échauffera pas plus que la moyenne, mais elle deviendra plus sèche.
  • Les régions arctiques et les régions de montagnes neigeuses (la Suisse) qui sont influencées par le forçage climatique dû à la diminution de la couverture neigeuse. En effet, la neige réfléchit le rayonnement solaire. En absence de neige, le soleil échauffe davantage. L’échauffement dans l’Arctique serait plutôt de 4 à 7°. Dans les Alpes il serait deux fois plus grand que dans les plaines européennes (3° au lieu de 1,5).

Seneviratne, S. I., Rogelj, J., Seferian, R., Wartenburger, R., Allen, M. R., Cain, M., . . . Warren, R. F. (2018). The many possible climates from the Paris Agreement’s aim of 1.5 degrees C warming. Natrure, 558(7708), 41-49. doi:10.1038/s41586-018évaluer l’-0181-4

 

14.06.18. Nature 558, 7709.

– 161, 199 – 241. ANTARCTIQUE, CHANGEMENT CLIMATIQUE, GOUVERNANCE

Le point sur l’Antarctique.Un éditorial et cinq gros articles sur l’état d’une masse de glace qui contient plus de 60% de l’eau douce de la Terre (y compris les nappes phréatiques) et dont l’histoire est écrite mieux que n’importe où ailleurs dans les forages qui portent actuellement sur 800’000 ans et, peut-être bientôt, sur 2 millions d’années. L’article par Brook et Buizert fait le point.

Le traité sur l’Antarctique de 1959 avait assuré une paix relative sur ce continent où il n’y avait rien à tirer – hormis la pêche – mais où tous les puissants – USA en tête – voulaient garantir leur position – on ne sait jamais. Seule la recherche est autorisée. Toute exploitation du sol est bannie jusqu’en 2048 au moins. Le traité ne fonctionne que par la bonne volonté des 53 nations signataires qui ont toutes droit de véto sur les décisions. La limite du traité est évidente , par exemple, par la façon dont les Japonais narguent l’interdiction de pêcher dans le territoire.

Pourtant la situation est en train de changer en raison de l’attrait touristique – eh oui, cela semble peu de chose, mais cela représente une nouvelle façon de voir le continent – et parce que le continent est en train de se dégager sous l’effet de l’échauffement climatique. Dans les siècles et millénaires avenir, il sera le principal contributeur à l’élévation du niveau des océans que l’on peut prévoir entre quelques mètres, si le monde applique les mesures sévères convenues à Paris ou, près de 100m si nous laissons le climat nous échapper complètement. Dans ce cas, la Hollande n’existera évidemment plus et, de Paris, il restera une mini-ile à Montmartre. La différence entre ces deux possibilités est significative(!). L’inéluctable montée de quelques mètres est la conséquence de l’activité humaine durant le siècle passé. Continuera-t-on vers 100m ? L’article par Rintoul et al. analyse comment les actions de ces prochaines décades feront la différence.

L’Éditorial conclut à la nécessité de redéfinir la gouvernance de ce continent. Le défi est exemplaire. Il nous dira sans échappatoire comment et combien nous sommes capables de gérer le « vivre ensemble » sur la Terre.

Éditoriale. Reform the Antarctic Treaty. (2018). Nature, 558(7709), 161. doi:10.1038/d41586-018-05368-7

Brook, E. J., & Buizert, C. (2018). Antarctic and global climate history viewed from ice cores.Nature, 558(7709), 200-208. doi:10.1038/s41586-018-0172-5

Rintoul, S. R., Chown, S. L., DeConto, R. M., England, M. H., Fricker, H. A., Masson-Delmotte, V., . . . Xavier, J. C. (2018). Choosing the future of Antarctica. Nature, 558(7709), 233-241. doi:10.1038/s41586-018-0173-4

 

J’ai pourtant mieux ! Thomas Stocker de l’UniBerne est notre monsieur Glace polaire suisse. Il est aussi coauteur du rapport IPCC qui a servi de base scientifique à la COP 21 de Paris. C’est dire si la source est bonne. Il vient de publier (malheureusement en allemand) dans un volume improbable (Die Gebäudeversicherung Bern im Wandel der Zeit) la meilleure synthèse que je connaisse sur le problème climatique. Tout y est. Surtout, il analyse la catastrophe qui est en train de se développer et comment elle pourrait être maitrisée. Je ne relève ici que deux points.

  • La COP21, se sachant trop optimiste avec les mesures qu’elle avait mises en place pour réaliser les buts des 1.5 ou 2°C, faisait grand cas de la capture du carbone. Elle y voyait une solution miracle à la faiblesse des nations. L’argument de Stocker est sans appel. Il faut oublier la géoingénierie sous quelque forme que ce soit.

L’autre me rend joyeux.

  • L’humanité a vécu récemment 3 révolutions industrielles, le moteur thermique, la mobilité automobile, l’informatique. Les trois se sont initiées en des temps étonnamment courts comme l’illustre la fig. 13 reproduite ici: à New York, en 13 ans, la voiture automobile a balayé les véhicules à chevaux.

 

  • Nous sommes à la veille de la 4erévolution industrielle, celle de la décarbonation et de la durabilité. Chez nous aussi, dans 13 ans, les voitures individuelles et leurs moteurs thermiques pourraient être caducs, comme aussi la surexploitation des ressources.
    En quelques pages, Stocker rend cette possibilité crédible et, même, presque naturelle.

Stocker, T. F. (2018). Der Klimawandel. Berner Forschung, globale Politik, lokale Herausforderungen. In Haupt (Ed.), Die Gebäudeversicherung Bern im Wandel der Zeit(pp. 121 – 139). Bern.

Copie attachée à ce courriel.

 

21.06.18. Nature 558, 7710

374 – 5, 445 – 8. SCIENCE, BIOLOGIE, CELLULES SOUCHES.

Taux anormalement bas de mutations dans les cellules souches.

Comparant les mutations aux extrémités du grand chêne de Dorigny, notre ami Philippe Reymond, et al. avait montré que le taux de mutation des cellules souches est étonnamment bas ; plus importantes que les autres cellules, un mécanisme mystérieux les préserve. Intéressant !

Schmid-Siegert, E., Sarkar, N., Iseli, C., Calderon, S., Gouhier-Darimont, C., Chrast, J., . . . Reymond, P. (2017). Low number of fixed somatic mutations in a long-lived oak tree. Nature Plants, 3, 926–929.

 

Le présent article et son explication dans News and Views présente le même effet chez le poisson-zèbre et en élucide la cause – au moins une cause -: une ombrelle de mélanocytes protège les cellules souches haematopoïetiques HSPC de l’irradiation solaire. La figure en illustre le principe. Joli !

Beerman, I. (2018). Stem cells hide from the sun. Nature, 558(7710), 374 – 375.

Kapp, F. G., Perlin, J. R., Hagedorn, E. J., Gansner, J. M., Schwarz, D. E., O’Connell, L. A., . . . Zon, L. I. (2018). Protection from UV light is an evolutionarily conserved feature of the haematopoietic niche. Nature, 558(7710), 445-448. doi:10.1038/s41586-018-0213-0

 

379 – 80, 420 – 423. SCIENCE, PHYSIQUE, ÉCOULEMENT DE FLUIDE SANS FROTTEMENT.

Le gaz s’écoule sans frottement dans un tube dont la surface est atomiquement plate.

L’angle d’incidence et de réflexion des photons sur un miroir sont les mêmes. On dit que l’interaction est spéculaire. Ainsi, ils peuvent courir sans limites dans une fibre optique. Dans du lait, les photons ne se perdent pas non plus, mais ils perdent leur direction. C’est la réflexion diffuse. C’est aussi ce qui se passe généralement quand une molécule de gaz heurte une surface. Les irrégularités de la surface renvoient la molécule dans n’importe quelle direction. Conséquemment, s’il y a du vent sur la surface, la composante directionnelle se perd après chaque choc. Bref, les irrégularités du sol freinent le vent. C’est la raison pour laquelle l’écoulement d’un gaz est freiné dans un tuyau. Ce ne serait pas le cas si la surface était parfaitement plate et si l’interaction était spéculaire.

Le présent travail réalise cette situation en construisant des canaux dont la surface est atomiquement plate et sans défaut. Dans un tel système, la petite pression induisant le courant de gaz (à basse pression pour ces expériences) reste constante, quelle que soit la longueur du canal. Il y a conduction sans perte.

… Pas toujours. Les auteurs étudient différentes surfaces et différents gaz. Par exemple, sur telle surface, l’hydrogène H2 passe sans résistance, mais le deutérium D2 ne passe pas alors que, les deux molécules sont chimiquement presque identiques ; non, D2 est plus lourd, sa longueur d’onde de Broglie est donc plus petite. Alors que H2 voit une surface lisse, D2 la voit irrégulière ; elle a l’œil plus fin.

Le sujet du glissement  sur une surface, lubrifiant et autre modifiants d’écoulement m’intéresse, car, un jour peut-être, on saura couper de l’eau vitreuse sans frottement et donc sans déformation. Ce sera la gloire de CEMOVIS (cryo electron microscopy of vitreous sections).

Commentaire: Duan, C. (2018). Frictionless when flat. Nature, 558 -9, 379 -380.

Article: Keerthi, A., Geim, A. K., Janardanan, A., Rooney, A. P., Esfandiar, A., Hu, S., . . . Radha, B. (2018). Ballistic molecular transport through two-dimensional channels. Nature, 558(7710), 420-424. doi:https://doi.org/10.1038/s41586-018-0203-2

 

28.06.18. Nature 558, 7711

  • – 9. MATH, SYSTÈMES COMPLEXES, SCIENCE DES RÉSEAUX.

Vespignani, A. Le point sur 20 ans d’une nouvelle science.

Pour se nourrir, le requin a une recette (j’aime le mot euristique.) Pendant un moment, il mange tout ce qui passe à sa portée puis, il part ailleurs jusqu’a ce qu’il trouve un bon coin où il recommence à s’en prendre aux proches voisins, etc.

Autre exemple : l’analyse de la communication par le web montre qu’il suffit de 6 clics pour connecter n’importe quel internaute avec n’importe quel autre. C’est peu.

En 1998, Watts et Trogatz publièrent un article séminal qui formalise ce type de relations. La figure illustre leur idée. On part d’un réseau où chaque point est connecté à 6 voisins (a). On voit que pour connecter deux points quelconques, il faut un nombre de sauts proportionnel à la distance. Ça peut être beaucoup. Les auteurs introduisent aussi des connexions entre points éloignés (rouge en b). Ils définissent la connectivité p comme la probabilité que deux points soient connectés.  Pour l’ensemble du réseau 0<p≤1. Lorsque p>0, il se forme typiquement une structure de patches ± séparés. En anglais on utilise l’adjectif cliquish « qui forme des cliques, sectaire ».

Depuis, la bonne idée de ces deux auteurs, le « small-world network », s’est développée en un instrument puissamment euristique (oui, j’aime le mot, mais cette fois, dans un autre sens : qui favorise la découverte.) Il éclaire le fonctionnement du web, la diffusion des idées, le développement d’une épidémie, le fonctionnement du cerveau., etc. Il met en évidence des situations de transition de phases quand, tout à coup, un petit changement induit un revirement total de la structure. Le phénomène de percolation expliqué en quelques détails dans « Parcours » en est une illustration typique.

Je rêve qu’une telle transition puisse expliquer comment il se fait que l’eau amorphe puisse exister sous deux formes dont on comprend mal la relation quoique l’une m’ait valu un prix Nobel.

Je rêve aussi que, tout à coup, chaque citoyen du monde se transforme en écolo convaincu et que Trump soit fichu dehors, tsac-tsac, terminé bâché !

En attendant, j’ai l’intention d’approfondir ma compréhension du « small world network ».

Vespignani, A. (2018). Twenty years of network science. Nature, 558(7711), 528-529. doi:10.1038/d41586-018-05444-y

Watts, D. J., & Strogatz, S. H. (1998). “The small world network

model ». Nature, 393, 440 – 442.

 

564 – 8. ASTROCHIMIE, ENCELADUS, EXOBIOLOGIE.

Le mois passé (Nature 557, 7706, 470), nous rapportions que le satellite de Jupiter Europa éjecte des geysers de particules comme le fait le satellite de Saturne Encéladus. Ici, on revient à Encéladus et aux analyses, maintenant bien plus avancées, des données de la sonde Cassini. La vision suivante en résulte.

La carapace de glace qui entoure l’océan d’eau liquide dans la profondeur du satellite a des fissures par lesquelles remontent des cheminées d’eau que l’énergie de marées maintient dans l’état liquide. Dans ces cheminées montent des bulles qui viennent crever à la surface en produisant un aérosol de microparticules semblables aux embruns du bord de mer. Il en résulte des geysers dont certains sont observables par les télescopes terrestres. La surface de la bulle est couverte de tout ce que la bulle croise comme sels ou molécules hydrophobes durant sa montée. On retrouve tout cela dans la plume du geyser.

La sonde Cassini est équipée pour analyser ces microparticules lorsqu’elle se fracasse sur une plaque métallique en émettant des cations moléculaires qui sont redirigés vers un spectromètre à mesure du temps de vol. La figure (Fig. 1) montre la quantité de matière détectée en fonction du temps de vol, c’est à dire, du poids moléculaire.

Ce qui saute aux yeux, c’est la quantité d’information d’un tel spectre et la richesse des composants. On observe par exemple, à gauche du spectre, s’additionnant à la masse de matériel non résolu, une série de pics espacés d’environ 13 Daltons que les auteurs interprètent comme une série de 7 – 15 C non saturés – juste ce qu’il faut pour produire micelles et membranes. D’autres données mettent en évidence différents composés aromatiques et leur probable connexion chimique.

Les auteurs ne parlent que de chimie organique, mais, comment éviter de penser en termes de soupe biologique ?

Postberg, F., Khawaja, N., Abel, B., Choblet, G., Glein, C. R., Gudipati, M. S., . . . Waite, J. H. (2018). Macromolecular organic compounds from the depths of Enceladus. Nature, 558(7711), 564-568. doi:10.1038/s41586-018-0246-4