Énergie, où est le problème?

Prologue

Dans ma dernière contribution à ce blog, je vous ai parlé de ma panique; pas celle que pourrait susciter le climat en folie et la vie qui meurt, mais celle causée par le fait que nous ne faisons rien pour éviter ces incroyables catastrophes alors que nous avons tous les moyens de le faire.  Je prétendais même connaître quelques idées qui permettraient de progresser sur la voie d’un futur harmonieux et durable. Voyons donc !

La première de ces idées qui me trottent par la tête concerne l’énergie parce que, à ce qui me semble, c’est dans ce domaine qu’il est le plus facile d’agir. Pourtant, en Europe, aujourd’hui, la crise de l’énergie semble être le plus grand souci des gouvernements et de l’opinion publique ; pas tout à fait sans raison puisque le congélateur domestique n’aime pas les pannes prolongées et parce qu’on a oublié les bienfaits d’un gros pull-over. Mais ceci est la vision à court terme. La crise actuelle a été construite depuis des décennies par une économie irresponsable et avide de croissance rapide. Nous tous avons laissé faire. Aujourd’hui, un tyran fou arrache une des pierres angulaires de l’édifice brinquebalant et tout s’effondre.

Énergie à profusion

Pourtant, de l’énergie, il y en a plus qu’il en faut. En particulier, le soleil brille partout et pour tous. En Suisse, le flux solaire est de l’ordre de 1 kW/m2. C’est beaucoup ! Sur l’année, cela représente presque l’énergie d’un baril de pétrole. Ainsi, sur l’ensemble du pays, le soleil dépose la colossale énergie de 50 mille milliards de kWh par année. C’est cette énergie qui nous réchauffe, qui fait que l’eau du sol se transforme en pluie ou en neige ; c’est elle aussi qui fait qu’il y a du vent.

Soleil, eau et vent, ces trois formes d’énergies, on sait les capter.

Qu’elle tombe du ciel ou qu’elle y soit pompée, l’eau des barrages est transformée en énergie électrique avec une efficacité remarquable. Toutefois, ceci n’est possible qu’au prix d’une grosse infrastructure. La chance que nous offrent nos montagnes et la sagesse des générations qui nous ont précédés font que notre pays est un des mieux pourvus dans ce domaine. En Suisse, la force hydraulique génère 58% de l’électricité consommée. On pourra en faire un peu plus.

Le vent est transformé en électricité par les turbines éoliennes (couvrant un ridicule 0,2% de la consommation) et c’est généralement à travers des panneaux photovoltaïques que le flux solaire devient électricité (4% en croissance rapide). Actuellement, dans le monde, c’est par ces deux voies que l’électricité peut être produite en grande quantité et au meilleur prix. Très souvent, les deux méthodes se complètent favorablement. L’avenir nous dira si d’autres méthodes feront encore mieux. Dans les lignes qui suivent, nous nous limiterons à considérer l’électricité photovoltaïque.

Les experts et les autres

Arrivé à ce point de mon exposé, il faut insister sur le fait que je ne suis pas un expert et, pour ce qui est de l’expérience personnelle, je n’ai que les panneaux solaires installés sur le toit de notre maison depuis 8 ans. En revanche, j’ai la chance de connaître quelques personnes particulièrement bien informées, et, surtout, je sais lire. Vous n’avez pas besoin de me croire pour tout ce que je vous raconte ici ; lisez plutôt le très plaisant article-interview du prof. Christophe Ballif dans le journal de l’université de Genève.

https://www.unige.ch/campus/143/linvite-christophe-ballif-avec-le-solaire-on-decarbone-la-suisse-en-trente-ans/

L’auteur est professeur à l‘EPFL et directeur du laboratoire de photovoltaïque et d’électronique en couche mince à Neuchâtel. Comme le disent les Américains, il est « second to none » dans son domaine. Si vous lisez son article maintenant, vous pourrez ensuite sauter avantageusement au dernier paragraphe de mon texte. J’y formule quelques réflexions supplémentaires qu’il me tient à cœur de partager.

Des surfaces et des prix

Au prix du marché, un centime de panneau photovoltaïque fournit grosso modo 1 kWh d’énergie électrique pendant sa durée de vie. Globalement, ce prix ne cesse de baisser quoique, évidemment, la crise actuelle met momentanément tout en pagaille.  À ce prix, il faut ajouter le montage et la distribution. Il semble que, en Inde par exemple, les firmes internationales se disputent les contrats d’électrification de vastes zones pour un prix de distribution d’environ 2 cts par kWh. Le soleil est tout aussi généreux dans le sud de l’Europe. Actuellement, en Allemagne, l’électricité photovoltaïque revient à 4 cts le kWh. C’est la forme d’énergie la meilleure marché. On se rappelle que chez nous, le kWh est à plus de 20 cts – hors crise actuelle.

Actuellement, la Suisse consomme, tous usages confondus, 220 milliards de kWh par année. Les panneaux photovoltaïques installés sur le toit de notre maison couvrent une petite – très petite – partie de cette demande. Ils ont une surface de 32m2 et ils produisent, bon an mal an, 7’000 kWh. Imaginons que l’on ait l’idée de rassasier toute la Suisse par ce moyen, il faudrait installer 1000 km2 de panneaux solaires. C’est beaucoup et ce serait trop parce que les panneaux solaires de notre maison sont déjà un peu vieux et ils ne sont pas au standard d’une production efficace à large échelle. Raisonnablement, la moitié devrait suffire.

D’ailleurs, 500 km2 sont une évaluation encore bien trop élevée. À midi, en été, en plein soleil, la production d’une telle surface serait pléthorique. Par contre, pour la nuit ou l’hiver, il faut trouver une autre source. C’est là que, pour une bonne part, l’énergie hydraulique de nos barrages vient à la rescousse. Pour le reste, le plus simple consisterait à faire appel à l’énergie éolienne. Elle a le gros avantage d’être particulièrement abondante la nuit et en hiver, quand le soleil n’apporte rien ou pas grand-chose.  Notre ami Roger Nordmann a étudié en détail comment ces trois sources pourraient être combinées (Nordmann, 2019). Il conclut que la Suisse serait confortablement servie avec 250km2 de panneaux solaires.

La surface de notre pays est d’environ 42’000 km2. De cela, 1/3 est occupé par la forêt, un autre tiers va à l’agriculture, 1/4 sont des zones improductives (montagnes, lacs, cours d’eau). Le reste, c’est-à-dire 8% ou 3300km2, est occupé par l’habitat et les autres formes de construction. Vus ainsi, les 250 km2 que l’on aimerait couvrir de panneaux solaires impressionnent nettement moins. Ils ne représentent que 1/13e de la surface déjà occupée par des constructions. Ils correspondent même, à peu près, à la surface des toits orientés favorablement dans les bâtiments déjà existants.

Et ce n’est pas tout ! L’agriculture peut produire assez correctement sous l’ombrage de panneaux solaires et je vois peu de problèmes avec des radeaux sur les lacs, s’ils sont placés suffisamment loin des côtes. Quel que soit l’amour que j’ai pour nos montagnes, je suis personnellement favorable à ce que d’importantes surfaces de zones arides et retirées accueillent des champs de panneaux photovoltaïques. Il a été montré que, placés verticalement sur des supports orientés selon l’axe nord-sud, ils produisent même deux fois plus qu’en plaine. Mes états d’âme montagnardes s’atténuent encore davantage si je considère les constructions anti-avalanches au-dessus des zones habitées ou, quand la neige est partie, si je regarde les surfaces saccagées de certaines zones de ski industriel.

Pléthore

De l’énergie saine et durable, il y en a donc pléthore. Des surfaces pour la collecter, il y en a plus qu’assez. Pourtant, notre société se meurt parce qu’elle ne fait pas l’effort d’en finir très vite avec la combustion d’énergie fossile. Il faut choisir ; on meurt ou on fait un effort.

Des efforts rapides et vigoureux, c’est possible. Nous avons tous mars 2020 en mémoire quand le Conseil fédéral décida de stopper la progression du virus. Un autre exemple fameux est la transformation radicale de l’économie des États-Unis après le choc de Pearl Harbor en décembre 1941. Ce dont nous avons besoin maintenant pour faire le saut de l’énergie fossile à l’énergie solaire ne serait même pas difficile. Si vous ne l’avez pas encore fait, lisez maintenant l’article de Christophe Ballif (2020) et vous comprendrez que décarboner la Suisse en trente ans n’a rien de terrible. Le directeur d’une grande firme de production et distribution d’électricité me disait même récemment : « Si nous avions les moyens légaux et qu’on nous laisse la bride sur cou, nous pourrions être complètement solaires en 10 ans !» Oh, la belle affaire !

Janus

Pourtant, en science, il arrive souvent qu’un problème résolu en révèle un autre, plus vaste encore. Que va-t-il se passer si l’énergie devient abondante, propre et durable ? Tant mieux pour les combustibles fossiles, on aura tôt fait de les oublier.  Tant pis pour les jours d’hiver, on aura turbiné assez d’eau dans les barrages avec les kWh des jours fastes. Tant pis aussi pour les jours de canicule, nous ferons tourner à rebours les pompes à chaleur ; elles se transformeront ainsi en réfrigérateurs.

Et pendant que nous y sommes, pourquoi se retenir ? Le béton a ses qualités, le fer aussi, moyennant un peu de technologie et beaucoup d’énergie, on saura les produire sans laisser échapper la plus petite trace de CO2. D’ailleurs, celui-là, comme les autres gaz à effet de serre, on saura bientôt les extraire de notre atmosphère, bientôt remise à neuf comme au plus beau moment de l’ère préindustrielle…

Voilà donc, à peu près, ce qui se pourrait se passer si l’énergie s’en vient à ne plus être limitante; la course effrénée à la croissance et au profit reprendra de plus belle. Elle achèvera de tuer la vie de notre planète et nous avec.

Comme le dit Aurélien Barrau (2019 ; 2022), la crise du climat n’est pas grand-chose. En y prêtant attention, nous pourrons la résoudre. Ceci nous donnera le court répit bien nécessaire à faire face au vrai problème, plus profond et plus difficile : apprendre à vivre harmonieusement dans le respect des autres et de la nature.

Il y a urgence, allons-y !

Références.

Ballif, Christophe. Campus No. 143. https://www.unige.ch/campus/143/linvite-christophe-ballif-avec-le-solaire-on-decarbone-la-suisse-en-trente-ans/

Nordmann, R. (2019). Le plan solaire et climat. Lausanne: Éditions Favre.

Barrau, A. (2019). Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité. Face à la catastrophe écologique et sociale. Neuilly-sur-Seine: Michel Lafon.