Science – actualité, mai 2015

01.05.05. Scientific American.

– 10. MÉDECINE. ROUGEOLE. La rougeole ne fait plus peur chez nous. Le vaccin est efficace et notre population est bien couverte. Et pourtant!

D’abord la maladie est extrêmement contagieuse (on dit qu’un malade infecte 15 personnes en moyenne; environ 1.5 – 2 pour Ebola). Ainsi, pour prévenir une épidémie explosive il faut que le taux de vaccination soit très élevé (plus de 95%). Ensuite, on l’ignore généralement que, dans le monde, la rougeole est un grave problème de santé publique. Elle tue d’avantages que le SIDA ou les accidents de voiture. Eh oui!

Atteindre un taux de vaccination suffisant dans le tiers-monde est difficile, mais bien des pays y sont arrivés. Or voilà que ces dernières années, des début d’épidémies se développent dans nos pays (premier mort depuis longtemps, l’an passé en Allemagne). C’est que le taux de couverture est en train de diminuer et cela peut être vite grave puisqu’il faut rester au-dessus de 90 ou 95%. pour éviter une épidémie. Tout cela parce que certaines personnes et certains groupes s’opposent aux vaccins et gobent avec un apparent délice les rumeurs du soi-disant effet néfaste de ces vaccins. À ce propos, il est impressionnant de constater le succès de l’article plus que douteux du Lancet en 1998 (il a été rétracté ensuite après avoir été déclaré falsifié) associant vaccin et autisme. La responsabilité individuelle des nantis comme aussi la responsabilité des pays pouvant se permettre un système de santé efficace n’est pas un vain mot.

1.05.15. Science 348, 6234

– 486 – 7. BIOÉTHIQUE. Après la 1ere tentative de modification d’un embryon humain. Alain, Jean, Lazare, Officiellement, personne ne prétend vouloir modifier actuellement des embryons humains dans un but thérapeutique ou autre. Il est à noter que – sage mesure de protection contre la critique des éthiciens – la récente publication chinoise a été faite sur des embryons fécondés par plusieurs spermatozoïdes et qui, de ce fait, ne pouvaient pas se développer. Il est pourtant bien évident que plusieurs groupes y travaillent (il semble que d’autres travaux sont en – ou proche de – publication) et on peut croire que certains pays soutiendront ces recherches – la Chine en particulier. Toutefois, la communauté scientifique et divisée selon deux points de vue. (i) Il faut arrêter les expériences jusqu’à ce que le point de vue éthique et les réflexions politiques soient arrivés à une conclusion. (ii) Il faut continuer la recherche parce que le savoir est préférable à l’ignorance – et ce, d’autant plus que l’expérience chinoise montre qu’on est loin de comprendre les processus impliqués. Selon moi, la recherche va continuer, mal contrôlée, jusqu’aux prochaines vagues. Ce que l’on peut espérer, c’est que ces vagues vont, petit à petit et sans conséquences trop fâcheuses, travailler les responsables politiques et la société civile qui viendront finalement à réagir sainement. Comme on le sait, l’optimisme est une exigence philosophique.

– 567 – 573. CLIMAT, ÉCOLOGIE. Deux articles pour étudier les risques d’extinctions des espèces. Le premier (Finnegan et al.) détermine une ligne de base à partir des données fossiles de ces 23 derniers millions d’années. Le deuxième (M.C.Urban) synthétise toutes les données disponibles sur les risques et les extinctions actuelles. J’en tire un résultat qui me semble utile pour penser au problème. Le risque de disparition d’une espèce est estimé à 2.8% actuellement, il passerait à 5.2% avec 2° d’échauffement et à 16% avec 4.3 °. C’est l’Amérique du sud où le risque est le plus grand, puis l’Australie et le Sud-est asiatique.

– 581 – 585. STRUCTURE MOLÉCULAIRE, CRYO-ME. Taylor et al. (Californie) Structure de CRISPR et interaction avec son ARN. Moins de 3 ans après sa découverte, la cryo-me révèle la structure moléculaire d’une des formes du complexe et la façon par laquelle il utilise l’ARN guide de la bactérie pour attaquer l’ARN cible. L’image E donne une idée de l’analyse que permet un tel modèle. Elle marque en rouge les 2 acides aminés de la boucle protéique qui va couper l’ARN cible (filament bleu de droite) tenu en bonne position par l’ARN guide associé au complexe (filament bleu de gauche).

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7.05.15. Nature 521, 7550

– 15 – 16. BIOTECHNOLOGY, POLITIQUE. Un peut tous, Alain, Gilles, Laurée, Lazare, Lucy, Mario. Je me rappelle bien, c’était à la fin des années 70, lors d’un séminaire interne au EMBL. Vincenzo Pirrotta nous impressionna en écrivant sans hésitation les 70 lettres d’un tARN qu’il venait de séquencer. En 2003 était publiée la 1ere séquence du génome humain, 3 milliards de lettres, 3 milliards de $. En 2012 la firme Oxford Nanopore annonçait pour l’année suivante l’appareil qui séquencerait le génome humain en 15′. C’est raté, il est encore annoncé pour l’an prochain. Par contre, la firme a distribué l’an passé, pour les premiers essais en conditions réelles, le séquenceur gros comme une canette de bière, simple, promis bon marché et bientôt conduit par iPhone. Après une année, les utilisateurs sont impressionnés, ça marche, même dans la brousse! Pas encore vraiment pour séquencer à toute vitesse le génome humain intégral, mais l’appareil s’avère excellent pour séquencer parfaitement des virus ou des bactéries ou caractériser déjà fort en détail n’importe quel organisme supérieur, l’individu humain par exemple.

Les conséquences scientifiques, commerciales sociales et politiques du séquençage de l’ADN sont formidables. Le développement rapporté ci-dessus annonce que le remplacement des papiers d’identité par l’ADN sera pratiquement faisable dans, disons, 2 ans. Je pense que la politique va suivre, à quel rythme? La combinaison UDC/bateaux de réfugiés pourrait accélérer le processus.

– 74 – 80. POLLUTION, ÉCOLOGIE. Tester l’effet d’insecticides sur les abeilles est difficile. Les tests en laboratoires sont critiqués parce qu’ils font généralement appel à des doses irréalistes. Ceux en conditions naturelles sont forcément de grosses et couteuses expériences. Les résultats jusqu’ici n’ont pas conduit à des conclusions fortes. Les deux présents articles font appel à de plus vastes expériences et semblent être plus solides. Ils montrent l’effet néfaste des insecticides néonicotinoïdes sur la récolte et la survie des abeilles domestiques (Kessler et al. GB) et des abeilles sauvages (Rundlöf et al, Suède). L’effet semble dépendre de l’espèce d’abeille considérée. Les sauvages étudiés par le groupe suédois sont particulièrement sensibles. Le 1er article montre aussi que les abeilles domestiques ne reconnaissent pas les plantes traitées de celles qui ne le sont pas. En fait, elles passent plus de temps à butiner les zones traitées quoiqu’en y récoltant moins.

– on line, 24.4. ÉTHIQUE, PSYCHOLOGIE, REPRODUCTIBILITÉ. Lucy. www.nature.com/news/first-results-from-psychology-s-largest-reproducibility-test-1.17433

  1. Baker. Cent publications récentes dans le domaine de la psychologie sont reprises pour en tester si les résultats son reproductibles. Selon les critères préétablis, la réponse est non dans 61 cas.

 

8.5.15. Science 348, 6235.

– 618-19, 640 – 41, 648-669. BIOLOGIE. Les biologistes. Relation entre les traits d’un individus et ces gènes. Trois gros articles et d’énormes masses de données. 80% des marqueurs génétiques de risques de maladies sont situés hors des gènes codants des protéines impliquées. Ceci veut dire que ce ne sont pas les machines (les protéines) qui sont en fautes, mais leurs réglages. Ceux-ci se situent éventuellement complètement ailleurs dans le génome. Le premier de ces articles (GTEx Consortium) génotype maladie et expression des gènes dans différents tissus. Lourd, lourd!

Il s’agit ici d’aller plus loin dans la relation (variant génétique)/maladie en caractérisant le trait (dans ce cas, la maladie) par l’ensemble des effets induits par le variant. Fondamentalement, on revient au problème nature/nurture, génome/milieu. Jusqu’ici, c’est surtout la relation entre le gène et le trait (anémie falciforme, etc.) qui a été étudiée parce que la réponse est accessible. Toutefois cette simplification ne marche que rarement. Dans l’immense majorité des cas, chaque trait est associé à de nombreux gènes (400 repérés pour la taille d’une personne). Pire, comme le mettent en évidence les présents travaux, ce ne sont pas les gènes (c’est-à-dire l’information codant pour la formule chimique d’une protéine), mais ses réglages (où, quand, combien, avec qui) qui sont les plus importants. La génétique des populations nous informe que l’héritabilité des traits (h ≈ nature) est généralement considérable, mais ses chemins sont plus complexes et tortueux qu’on ne l’imagine. La maitrise de l’ingéniering génétique pour obtenir un trait particulier (par exemple le tempérament d’une enfant) n’est pas pour demain.

 

14.5.15. Nature 521, 7551.

– 127. BIOÉTHIQUE, BIOSÉCURITÉ, BIOTECHNOLOGIE. Alain, Jean, Lazare, Mario. Éditorial. J. Lunshof. Il faut réguler l’édition des gènes des animaux sauvages.

Bonne idée, mais c’est un peu court. Ceux qui suivent mon blog connaissent la situation. Avec CRISPR, l’ère de l’ingeniering génétique est vraiment ouverte. Plus fort encore, avec la technique du « gene-drive », nouvellement dénommée « mutagenic chain reaction » (MCR) (cf. ci-dessus, Science du 24.4) l’homme court-circuite les mécanismes de sélection naturelle.

Ainsi l’homme est aux commandes et, dans ces conditions, il arrive qu’il fasse des bêtises, parce qu’il a mal analysé l’effet de son action, parce qu’il a fait une erreur ou parce qu’il a délibérément choisi de faire du mal.

Quand les possibilités de faire des dégats dépassent notre imagination, qu’elles sont faciles à mettre en oeuvre, qu’une fois lancées elles se développent sans limites et hors contrôle, on fait quoi? Pour le moment, sur ce blog, nous observons pour essayer de comprendre ce qui se passe et où nous allons.

– 137. SANTÉ. POLITIQUE. La débâcle de l’OMS face à l’épidémie d’Ebola appelle une réforme. En gros, la question est: faut-il retirer à l’OMS, trop lourde et trop lente, la responsabilité de gérer les épidémies au niveau mondial ou faut-il préférer une solide réforme interne? Cette 2e vue domine, mais il faudra former une unité « épidémie » capable de réaction rapide, disposant de moyens considérables et d’une grande autonomie. Est-ce possible? Certains en doutent au vu de la rigidité de l’organisation.

– 141 – 157. Cahier spécial. SCIENCE EN INDE. Arjun. Quelques articles généraux suivis de 10 commentaires de scientifiques divers. Plusieurs sont forts, par exemple, celui sur la gestion des déchets par Sunita Narain ainsi qu’un condensé d’information générale (142-3) dont je retiens: (i) L’institution dont le taux de citation est le plus élevé est l’université du Panjab à Chandigarh. (ii) L’investissement R et D est stable à 0.8% du PIB. En Chine, il croît et approche 2%. (iii) Il y a 3x plus de chercheurs en Chine qu’en Inde, mais le budget par chercheur est semblable dans les deux pays. (iv) La proportion de subsides attribués aux femmes a doublé ces 10 dernières années.

 

15.5.15. Science 348, 6236.

– 740 – 1. PRIVACITÉ, ANTISCIENCE. Gilles, Lucy.  Collision aux USA entre les craintes pour la sphère privée et le typage génétique des nouveau-nés. De manière générale, l’éthique veut que les prélèvements biologiques soient faits avec le consentement du donneur. Cela devrait être clair pour les bébés à la naissance quand on teste le sang pour une batterie de maladies possibles. Que faire si, par la suite, on souhaite utiliser ces mêmes prélèvements pour une autre recherche? En gros, la règle US voulait que, une fois anonymisé, le prélèvement puisse être utilisé à d’autres fins éthiquement acceptables. Le consensus passait sans trop approfondir. En Suisse, en principe, il faut une autorisation du donneur, mais avec quelle rigueur faut-il définir « autre fin »? Aux USA se développe un mouvement très dur pour interdire toute action qui n’aurait pas été spécifiquement autorisée. Il y a bien quelque chose à dire, en particulier sur le prélèvement d’ADN (l’appel de Bâle contre le typage génétique a aussi ses raisons), mais il semble que le mouvement US prend force et racine dans le mouvement antiscience de la droite Tea Party.
Voir aussi Science du 29.5, pp9646.

– 796 – 798. ÉVOLUTION, ANTHROPOLOGIE, SOCIOBIOLOGIE, GENRE. Tous, car malin et sympathique. Dyble et al. L’égalité des sexes peut expliquer la socialité extrafamiliale des bandes de chasseurs-cueilleurs. Si l’on veut absolument trouver ce qui fait que l’homme est homme, ses capacités sociales sont un bon point de départ. Ainsi, les humains sont hypercollaboratifs. Mieux, ils le sont aussi en dehors du lien familial ce qui est bizarre selon la biologie évolutive. En effet, si l’avantage évolutif de la collaboration est bien compréhensible entre individus génétiquement proches (chez beaucoup d’insectes sociaux, la collaboration à lieu entre individus génétiquement identiques), on doit se demander comment la collaboration entre individus non apparentés a pu se développer face à l’avantage de la collaboration interfamiliale (pourquoi utiliser de précieuses forces à aider la famille du voisin au lieu de soutenir les miens?). Cet article compare, dans des sociétés primitives, les liens familiaux à l’intérieur de groupes égalitaires de chasseurs-cueilleurs avec ceux de groupes non égalitaires d’agriculteurs (les seconds possèdent des biens et l’héritage y est important avec les conséquences que Piketty a analysé). Les auteurs mettent en évidence un fait remarquable: dans les groupes égalitaires, le choix du partenaire du couple est autant le fait de l’homme que de la femme. Ainsi la belle lignée d’une filiation patriarcale ou matriarcale est constamment rompue. Dans une telle société, même si les couples sont stables et que les parents savent qui sont leurs enfants, la relation familiale devient déjà compliquée avec les cousins et les petits enfants; pour les parents plus éloignés, le cheni est vite total. Il y a là un modèle qui explique, peut-être, comment au cours de l’évolution récente de l’homme, les cartes du lien familial ont été brouillées, laissant ainsi la possibilité aux nouvelles capacités sociales de l’homme de s’épanouir au-delà du milieu familial étroit. En complément de cet article, les auteurs modélisent le processus. Les biologistes de l’évolution et des populations auront sans doute matière à contribuer. Ceux qui souhaitent voir plus de femmes aux décisions s’en régaleront.

 

21.5.15. Nature 521, 7552.

– 264. News. COMMERCE, MÉDECINE. JaDi, Urs. Aux USA, le nombre de personnes dont la dépense annuelle en médicaments dépasse 100’000$, à triplé de 2013 – 14. L’augmentation est de 63% pour le nombre de ceux qui en consomment plus 50k$. L’hépatite C et différents traitements du cancer en sont la cause. L’augmentation du cout de la médecine a subi la plus forte hausse depuis 10 ans. La tendance ne va pas s’arrêter avec la montée en puissance de la médecine personnalisée. Faut-il croire que la grande médecine est pourrie?

– S45 -92. cahier spécial. ABEILLES. Antoine. Une information générale sur les abeilles et plusieurs articles visant à faire le point sur le collapse des colonies. Le cahier se termine par un article sponsorisé par Bayer valorisant les néocorticoïdes. On y apprend qu’il est très difficile d’y voir clair et que les expériences pour déterminer la cause du problème des abeilles et autres insectes polléniseurs sont difficiles à identifier. Il faut noter la sélection à outrance, le méchant Varroa, le camionnage ridicule des colonies à travers les USA, et puis les néocorticoides et autres produits phytosanitaires. Qui joue quel rôle? La réponse n’est pas évidente. Évidemment cet article insistes sur les avantanges des néocorticoides. Ils sont relativement peu toxiques pour les mammifères; ils s’appliquent en une fois sur les semences; comme ils ne s’épandent pas dans les champs, ils sont peu disséminés. Leur interdiction par l’UE augmente l’usage des insecticides épandu sur le terrain, souvent de manière répétée.
Je vois quand même dans cet article des données différentes de celles lues ailleurs sur le taux de destruction des colonies. Surtout, je me réfère aux deux articles de Nature du 7.5 (voir ci-dessus) qui démontrent – il semble pour la première fois de manière solide – l’effet néfaste des néocorticoides en conditions réalistes.

 

22.5.15. Science 348, 6237.

– 848. POLITIQUE SCIENTIFIQUE. Gilles. La Commission européenne promet d’écouter les scientifiques. Dès son entrée en fonction, J.-Cl. Junker, président de la CE, n’a pas renouvelé Anne Glover, la cheffe consultant scientifique de la CE. Depuis les scientifiques s’inquiètent. Le 13 mai a été présenté la nouvelle organisation basée sur un groupe de 7 tops-scientifiques qui devraient servir de relai entre les organisations nationales ou internationales et la CE. À ce que je comprends, l’enthousiasme est mitigé. Pour juger, il faudrait comprendre  

– 865 – 7, 873 – 5. BIODIVERSITÉ, SCIENCE ET SOCIÉTÉ. L’expédition Tara. Éric Karsenti est venu au EMBL peu de temps avant que je n’en parte, mais, comme nous travaillions tous les deux sur les µtubules, nous nous sommes bien connus. Il est sympa comme tout. Je le savais aussi navigateur, mais ce qu’il a fait de cette dernière compétence est étonnant.

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De 1831 à 1836, Darwin a fait un grand tour du monde en bateau. Il y a récolté beaucoup d’informations dont il a su faire bon usage. Karsenti et ses copains ont pensé qu’il valait la peine d’actualiser l’opération en utilisant les méthodes de la biologie et de la communication d’aujourd’hui. Ainsi est né Tara Oceans, l’expédition qui, à bord d’un voilier à moteur de 36m, a sillonné les océans durant 3 ans – disons que, à la différence du Beagle, l’équipage pouvait être relevé aux escales et qu’un flot d’information était continuellement diffusée.

L’expédition fut deux choses. (i) Une magnifique action de sensibilisation à la valeur du milieu marin et (ii) une vaste opération de recherche sur la diversité de la vie dans l’océan. Le présent no. de Science présent cinq articles considérables dont Éric (avec beaucoup d’autres) est chaque fois coauteur. Juste pour donner une idée, l’un, signé par 51 auteurs, s’intitule: « Structure et fonction du microbiome océanique global ». On y lit:  » Nous avons analysé 7.2.10^12 bases (d’ADN) de données métagénomiques de 243 échantillons prélevés dans 68 emplacements dans tous les océans du globe … et identifié plus de 40 millions de séquences de gènes non redondants ». Une belle leçon d’engagement Science, Environnemental et Politique.

– 921 – 925. BIOLOGIE SYSTÉMIQUE, ÉVOLUTION. Les biologistes. Kachroo et al. L’humanisation des gènes de la levure révèle la conservation de fonctions et la modularité génétique. L’idée que les animaux sont tellement différents de l’homme qu’ils ne sont guère utilisables pour la recherche médicale est répandue, en particulier chez les opposants à l’expérimentation animale. C’est mal vu. Au contraire, c’est l’unité de la vie qui nous étonne le plus souvent comme l’illustre le présent article.

Au point de vue de l’évolution, la levure est à peu près l’eucaryote (cellules avec noyau) l plus distant de nous. Ici, on s’est amusé à remplacer une à une, 414 gènes essentiels de la levure par leur orthologue (le gène ayant la fonction correspondante) humain. Premier résultat: la levure humanisée fonctionne correctement dans presque la moitié des cas. Deuxième résultat: ce n’est pas tellement la similarité de séquence (le code de l’ADN) que la fonction dans le cadre du système métabolique dont fait partie le gène qui est importante. On le comprend, si deux usines produisent le même objet, qu’importe les machines (les protéines) du moment qu’elles remplissent la même fonction. C’est la fonction de tout le système qui compte. Pour cette raison, la biologie systémique nous éclaire et nous aide à comprendre les processus vitaux. Par exemple: (i) L’apprivoisement du chien par l’homme (ou vice vers) a été possible en redirectionnant (vers l’homme) d’une fonction globale ancestrale (l’attachement de la louve à ses petits). (ii) On découvre avec surprise que l’inflammation semble jouer un rôle dans toute sorte de processus disparates – y compris Alsheimer. C’est l’excellent Jürg Tschopp de l’UNIL (hélas, mort en montagne) qui à découvert l’inflammasome, la structure qui produit l’inflammation mobilisatrice des défenses, mais que le corps utilise quelques fois à tort et à travers.

 

 

28.5.15. Nature 521, 7553.

– 393, 401 – 2. POLITIQUE, COMMERCE, ENVIRONNEMENT, SANTÉ. Éditorial. TTIP (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), TiSA (accord sur le commerce des services) et ACTA (accord commercial anticontrefaçon) ne sont pas des sujets de ce blog. Il faut quand même les suivre de près.

-914 – 917. VIROLOGIE, CRYO-ME. Les biologistes. Ed. Egelman et al. Un virus infectant à 80°C; son truc: empaqueter l’ADN en forme A, plus stable que la forme B usuelle. C’est nouveau, c’est une surprise.
Chacun aura compris pourquoi je suis avec un intérêt particulier l’avalanche croissante des structures moléculaires que la cryo-ME rapporte à résolution atomique. Dans Nature et Science, il y en a maintenant plus d’une par semaine en moyenne. L’auteur principal du présent article, un ami avec qui nous faisions une grande marche autour de Grandvaux vendredi passé, parle de la révolution de la cryo-ME et le bouleversement qu’elle engendre en biologie structurale. Bon, ça me plait, mais je vais quand même arrêter de rapporter ici à chaque occasion.

– 408 – 10, 415 – 418, 435 – 482. Cahier spécial: INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DRONES, LASER*. On les appelle apprentissage profond (AP) ou intelligence artificielle (AI). Il leur faut d’énormes bases de données et de la puissance de calcul. Il leur faut aussi un réseau de neurones, c’est à dire: I entrées indépendantes dans une boite noire, R boutons pour régler la boite noire, et O sorties. À l’entrée, par exemple, il y a les sons d’un locuteur ou des images. À la sortie, il y a des phrases ou la nature de l’objet. Quand l’apprentissage par le réseau de neurones porte sur 1 milliard de phrases ou d’images et un nombre semblable de boutons ajustés, le résultat est impressionnant. Je peux bien y croire, connaissant ce qui se fait en microscopie électronique. Il parait que les analyseurs de parole sont maintenant compétitifs, même en milieu bruyant et il est prétendu que la reconnaissance de personne permet de suivre une vaste population en situation réelle.

Drones. pp. 460-466. Science, technologie et le futur des petits drones autonomes. Pas cher et très maniables, l’AI les rend autonome. L’auteur décrit toutes sortes de fonction et de formes – y compris le drone qui se met en boule pour aller rouler dans des cavités impossibles- et rêve d’essaims envoyés sur les lieux d’une catastrophe. Ils informeront intelligemment sur la situation et farfouilleront dans tous les coins pour y rechercher les blessés et, par exemple, apporter quelques premiers secours.

Armes et usage de combat. Il faut glaner quelques bouts de phrases, lire entre les lignes ou sortir de ce cahier spécial pour comprendre l’importance militaire des LAWS (light autonomous weapons systems) et se rappeler que les grands investisseurs de l’AI et l’AP sont les militaires. Là, le rêve est différent. Par exemple, il s’agit d’envoyer des milliers de LAWS dans une ville investie par des terroristes. On ne parle pas de les équiper de lasers aveuglants, comme ceux que l’on achète sous forme de petit pointeur; leur usage militaire est interdit par la CCW (Convention on Certain Conventional Weapons) à Genève en 1995. Par contre on apprend qu’une charge de 1 gramme perce un crâne.

Conclusions. Tout comme CRISPR, gene drive et MCR (cf. plus haut et Nature 15.5 et 4.6), la technologie de l’AI et des robots autonomes est en marche. Qu’on le veuille ou non, elle seront développées et utilisées.

Le résultat est explosif. Et alors?

– Alors,
(i) on continue de suivre ces développements,
(ii) on milite pour une prise de conscience et une règlementation mondiale, et
(iii) on se réjouit que la jeune génération soit intelligente et peut-être plus responsable que la vieille..

* Lasérologie.

Il s’agit de l’interaction entre les ondes électromagnétiques (la lumière) et la matière. Trois cas sont possibles. (1) Un système – disons un atome – au repos absorbe un photon et devient excité. (2) Un atome excité perd son énergie en émettant un photon. (3) Einstein, dans un de ses fameux 4 articles de 1905, montrait qu’un 3e type d’interaction est nécessaire pour rendre compte de la radiation du corps noir (la couleur de la lumière dans une boite fermée). Un atome excité est stimulé à perdre son énergie lorsqu’il est traversé par un photon de la même énergie. Au lieu d’un photon, on en a alors deux. Première propriété de l’émission stimulée: la probabilité que le photon de passage prenne l’énergie de l’atome excité est la même que la probabilité qu’un photon de cette énergie soit absorbé en excitant un atome semblable. Conséquemment, si l’on dispose d’une population d’atomes dont plus de la moitié est dans l’état excité, le premier photon à bonne énergie entrainera avec lui plus de photons qu’il ne s’en perdra par absorption dans les atomes au repos. La lumière s’amplifie en vidant l’énergie des atomes excités. Le phénomène s’arrête quand les atomes excités ne sont plus majoritaires. Pour obtenir un faisceau continu, il faut constamment « pomper » les atomes dans l’état excité. Deuxième propriété de l’émission stimulée. Non seulement les photons stimulés ont tous la même énergie, ils ont aussi la même direction et la même phase. Ils sont fondamentalement indistingables.

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Laser de puissance. Les lasers sont partout, dans les lecteurs CD, dans les pointeurs pour conférenciers. Jusqu’ici, les lasers capables de bruler ou percer sont très lourds et très chers. Ainsi le projet de bouclier spatial (Star War) dont rêvait Busch a englouti en vain 2.4 milliards de dollars. Il semble toutefois qu’un progrès décisif ait été réalisé récemment. Son déploiement militaire n’en est qu’à ses balbutiements, mais les ingrédients sont là. Le principe est illustré sur la figure. Des LED envoient de la lumière qui circule dans une fibre optique en se réfléchissant à la surface de la fibre. Les deux bouts de la fibre réfléchissent la lumière afin d’augmenter encore la densité lumineuse. Le centre de la fibre est dopé avec des atomes lourds que la lumière ambiante excite à une énergie précise. C’est dans ce mince volume d’atomes excités au centre de la fibre que s’amplifie l’émission stimulée que seul laisse passer le filtre miroir du bout de la fibre. Des appareils capables de déposer 10kw sur une surface de 5 cm de diam à 3 km sont en phase de commercialisation. Ils n’ont pas le niveau antiartillerie au antifusées balistique, mais ils viendraient correctement à bout des drones commerciaux actuels ou de petits bateaux des pirates cherchant noise à de grands bateaux. Actuellement, ce sont encore de grosses machines à monter sur de lourds camions ou des cargos. On s’attend à ce que les progrès de miniaturisation soient rapides et qu’ils changeront radicalement la physionomie des sites de combats. On veut bien le croire.

 

29.5.15.Science 348, 6238.

– 947. EUROPE, POLITIQUE. Gilles. J. Wilsdon. Conseil scientifique pour l’Europe. Cet éditorial développe deux points. (i) Anne Glover, la cheffe conseillère scientifique du président de l’EC a été vidée brutalement à l’arrivée de J-Cl Junker. Elle agissait au mieux dans un contexte peu favorable. (ii) Un nouveau système qui regroupera 7 scientifiques de haut niveau vient d’être présenté. Il faudra voir, mais sa structure risque de favoriser les positions mollement consensuelles.

– 948. BUSINESS, CONFLIT, ÉTHIQUE. Gilles, Lucy. Henry Markram, le très controversé directeur du Humain Brain Project de l’EPFL et de son éventuel milliard européen, est aussi, avec sa femme Kamila, le fondateur de la firme Frontiers qui a lancé en 2014 les journaux médicaux « Frontiers ub Medicine » et « Frontiers in Cardiovascular Medidine ». Le 7 mai, la direction de la firme a saqué 31 des éditeurs de ces deux journaux (c-à-d, presque tous) qui se plaignaient de l’interférence de la firme dans les décisions éditoriales. La firme explique que le blocage de certains articles par les éditeurs revient à une forme d’extorsion.

Il va vraiment falloir mettre de l’ordre avec les intérêts financiers privés dans les universités suisses, de l’EPFL en particulier.

– 971-2, 1013-15.ÉDUCATION, MÉMOIRE, PAVLOV. Lucy. G.B.Feld & J. Born; Hu et al. Exploiter le sommeil pour corriger les mauvaises habitudes. On travaille sur le biais classique associant personne noire/mauvaise et femme/stupide. L’expérience consiste à demander au sujet d’identifier, parmi les paires présentées, celles qui sont positives (par exemple: portrait d’un noir / le mot « beau »). Un son caractéristique marque les réponses correctes. La première partie du résultat est connu: le sujet « s’améliore » il devient moins biaisé, mais l’effet ne tient guère qu’une semaine. Deuxième expérience: après l’exercice de sélection des paires, le sujet fait une sieste de 30′ et, pendant la période d’ondes lentes, il est soumis au son caractéristique de ses bons choix. Résultat: l’ »amélioration » du patient est renforcée et, surtout, elle dure.

Suivent deux questions: est-ce reproductible? Que peut/veut-on en faire? En lisant cet article, le film « les oranges mécaniques » me revient à l’esprit.

Commentaires

4 réponses à “Science – actualité, mai 2015”

  1. Avatar de BECK
    BECK

    Les accusations reliant l’autisme, la sclérose en plaques etc à des vaccins anti-rougeoleux, anti-hépatite B ont été démenties pat les études faites pour dissiper ces soupçons. Ce qui n’empêche pas les journaux et la TV de donner un poids égal dans les interviews et dans le courrier des lecteurs aux arguments des pro- et des anti-vaccins. Ce relativisme dans l’information pèse lourd ensuite en diminuant les couverture vaccinale (même parmi le personnel des hôpitaux, le pire étant les gens à demi-instruits…

  2. Avatar de Mario
    Mario

    Sur le séquençage haut débit sur petit appareil, je vois surtout des avantages, car par exemple dans le séquençage de l’ADN circulant dans le sang, les progrès sont rapides et je pense que dans 5 ans on devrait avoir des utilisations précises pour des tests diagnostics/prognostics de plusieurs cancers. Donc, les hôpitaux pourront faire ces analyses rapidement sur place.

    Quant au manipulations transmissibles du génome, ceux qui pensent qu’il faut continuer, car il vaut mieux savoir, se trompent à mon avis, dangereusement. J’aimerais que quelqu’un m’explique pourquoi il faut démontrer dans l’embryon une absence d’effets collatéraux de la mutagénèse CRISPR que l’on n’a pas encore pu démontrer dans des cellules somatiques. Et aussi quels sont les défauts que l’on veut corriger dans les embryons et qui ne seraient pas déjà évitables par DPI ?

    J’avais écrit en italien un commentaire, du pont de vue scientifique, sur la votation du 14 Juin, … Les arguments scientifiques étaient : 1) que la distinction entre test de défaut et screening chromosomique n’est pas réalisable et de toute façon pas contrôlable 2) qu’ à long terme la vraie dérive à craindre sera celle d’un diagnostic DPI par séquençage global. La liste des critères de sélection pas admis serait alors très longue ! Mieux vaut se préparer à exclure de la DPI les analyses globales, le temps venu (même en Suisse ; en fait Einstein disait qu’il aurait voulu mourir en Suisse, car c’est le pays ou tout arrive quelques dizaine d’années plus tard). Pardon, Einstein avait tort, car au moins dans l’enseignement de la bio-éthique et des relations science-société vous êtes très en avant.

    1. Avatar de Jacques
      Jacques

      Aura-t-on une liste des interdits – qui devra en effet être fort dynamique et bientôt très longue – ou bien une liste des interventions autorisée qui pourrait être restrictive? (On pourra voter tous les quelques mois pour décider si on introduit ceci ou cela dans la liste – sentant la calvitie menacer, je lancerai volontiers une initiative).
      Est-ce la 1ere ou la 2e des listes qui est envisagée pour la loi d’application?
      Quoi qu’il en soit, tant que nous n’avons pas de gouvernance mondiale, la situation sera problématique.

  3. Avatar de Mario
    Mario

    Tes questions sont intéressantes. J’ai bien lu le message du CF au Parlement mais je ne connais pas les modifications intervenues dans la loi d’application. Probablement il y aura de nouveau des indications et des interdictions. Indications pour des cas d’infertilité et des cas de maladies génétiques graves connues dans la famille, accompagnées de restrictions de nature très générale comme « s’il n’y a pas d’autre solution possible », qui permettent plusieurs interprétations. Interdictions précises sur quelques points, comme la détermination du sexe ou la détermination HLA pour sélectionner un « enfant sauveur » pour un frère malade (ce qui est exclu). Mais aussi interdictions de nature très générale comme « toute analyse génétique qui n’a pas comme but d’éviter une maladie génétique grave ». D’après cette interdiction de nature générale on ne pourrait donc pas utiliser une méthode d’analyse globale (pas nécessairement tout le génome, mais par ex. qui examine une centaine de gènes). Mais de telles analyses sur cellules embryonnaires sont déjà réalisables et réalisées ailleurs. Comment éviter concrètement qu’elles soient faites dans le cadre de la DPI ? Doit-on interdire explicitement l’utilisation de méthodes globales ? C’est pour cette raison que la polarisation sur la question du « screening chromosomique » me semble à côté des vrais risques de dérive, en plus de la confusion qui est produite en donnant l’impression que ce qui est visé c’est la trisomie 21. En fait il existe des défauts transmissibles, comme de grandes délétions ou réarrangements chromosomiques que l’on devra parfois diagnostiquer en utilisant les méthodes du « screening chromosomique ». A terme, se posera par contre la question de limiter les analyses génétiques du DPI à quelques tests seulement, qui sont en rapport avec la motivation du DPI. Heureusement, les centres de DPI sont déjà obligés de fixer des priorités, non seulement sur des bases éthiques, mais aussi parce qu’il s’agit d’analyses contraignantes pour le laboratoire et aussi car la FIVE comporte en elle-même beaucoup de contraintes et de désagréments.

    Comme pour le « gene editing » il s’agit d’un domaine très intéressant pour les cours biologie et société. Lequel des deux risques de dérive eugénique (modification ou sélection) et le plus à craindre ? Les risques sont-ils limités par les limites techniques (trop cher, pas encore au point..) ou la limitation doit être imposée (ou auto-imposée par le milieu scientifique et médical) ?