Contournement de Morges

Il y a quelques mois, malgré – ou si l’on veut, à cause de – mon incompétence, j’avais soumis aux membres du PS et des Verts morgiens une analyse des différentes variantes proposées pour l’autoroute de contournement de Morges. Depuis lors, une forte majorité morgienne se profile en une sorte d’union sacrée en faveur du « grand contournement avec piqure et déclassement de la traversée de Morges ». De plus, notre très compétent municipal Éric Zugger m’a apporté un bon nombre de précisions dont l’une me réjouit particulièrement : il n’est pas prévu de jonction au nord-ouest de Morges, vers la Vogéaz. Tant mieux, une belle plaine sera épargnée. Malgré tout cela, je suis de plus en plus mal à l’aise avec le projet. Plus j’y réfléchis, plus je vois les choses différemment. Je m’explique.   À Morges, nous avons un problème de voitures. Il y en a trop. La solution préconisée consiste à les faire passer ailleurs, là où il y a moins de monde à déranger et aussi là où, avec beaucoup de tunnels, elles dérangeront moins. Cette solution correspond au point de vue morgien. Comme d’habitude, la solution dépend du point de vue. J’en considère un autre : le monde.

Le monde suffoque de voitures. D’accord, elles ne sont pas les seules responsables; dans nos régions, le chauffage fait pire. Pourtant chez les 4 milliards d’habitants de Chine, d’Inde, d’Asie du Sud-est et d’Afrique qui comptent bien se développer comme nous – avec notre aide, ils y travaillent de leur mieux – c’est bien la voiture qui contribuera le plus massivement à l’augmentation de l’émission de CO2, grand responsable de l’échauffement climatique. On peut tourner les choses comme on veut, mais tous les indicateurs le disent: on fonce droit au mur ! Petit signe édifiant : au rythme où vont les choses, il n’y aura plus de banquise estivale arctique en 2050. Là-haut pourtant, il n’y a  pas de voitures ! Ce n’est pas Morges qui étouffe, c’est le monde. 2050 n’est pas loin, sans un effort majeur et rapide le carambolage aura lieu et ses conséquences seront probablement bien plus sévères que les nuisances du trafic à Morges.

Nous fonçons droit dans le mur, mais nous n’y sommes pas encore. C’est vrai, l’homme n’a jamais pareillement malmené son environnement, mais jamais non plus il n’a eu, comme maintenant, les connaissances et les moyens qui lui permettraient de maitriser son impact. Un bon cadre pour y arriver serait la société à 2000Watt.  2000W, ou 2kW, c’est actuellement la consommation moyenne de chacun des habitants du globe. Comme on peut le constater, c’est déjà beaucoup trop, mais ce serait tout bon, combiné avec un grand effort pour remplacer les énergies fossiles par une production durable. De plus, l’idée d’égalité énergétique pour tous est certainement fondamentale si on veut réaliser un monde de paix et d’harmonie.

Nous voulons 2000W. En Suisse, nous en sommes à plus de 6000. Rien que pour les transports, il nous en faut 1800, presque notre quota total. Il va falloir se secouer.

 

J’ai une solution. Facile !

À 17 :30, depuis le pont de la Gracieuse, j’ai observé le trafic sur l’autoroute. Ayant vu passer 100 voitures, j’avais dénombré 122 occupants. 1,22 personne par voiture ! Quel gaspillage ! Changeons cela. Décidons que, disons dès dans deux mois, le trafic pendulaire ne sera autorisé que pour les véhicules voiturant au moins 3 personnes. D’un coup, fini les bouchons et déjà serait accompli, la moitié de l’effort pour résoudre le problème « déplacement » dans la société à 2000W.  À cela s’ajoute – ce ne serait pas le moindre des avantages – l’épanouissement de la vie sociale de tous ces voyageurs qui vont enfin apprendre à se parler.

Réflexion faite, je vois quand même quelques problèmes avec ma brillante proposition. Que fait-on de ceux qui ne sont pas pendulaires ? Ils représenteront 26% des 250’000 trajets que prévoit quotidiennement  l’étude TJOM 2030 pour l’ouest lausannois[1]. Et que dire à la maman qui doit changer ses plans parce que son gamin fait de la fièvre ce matin ? Sans oublier que, les mesures fermes pour le bien collectif ne sont guère dans l’esprit suisse…

Zut, pas si facile, dommage, cette solution populaire eut été chouette. Cherchons autre chose. Quelque chose de plus réaliste.

 

Dans nos pays, quand il est vraiment nécessaire de prendre une meilleure habitude, la méthode consiste à faire payer l’ancienne pratique et de subventionner la nouvelle. Ce n’est pas sympa, car avec cela, plus on est riche, moins on est bon (Marc 10 ;25.) Apparemment, c’est la seule façon qui marche. Prenons donc courageusement les décisions suivantes en ce qui concerne l’ensemble des déplacements en Suisse. Les déplacements en voitures sont du domaine privé. Ils se payent au prix réel. Les impôts nous donnent une indication sur ce que devrait être ce prix, environ 60 cts/km en moyenne, pour commencer. On pourra l’augmenter pour affiner le processus. Naturellement, il faudra bien différencier les petites voitures des grosses 4×4. L’effet sur le trafic sera considérable. Sans autoroute de contournement, Morges appréciera de nouveau la stimulante caresse du Morget et Bussigny-Nord continuera à humer son  air champêtre. L’État sera soudainement libéré de la plus grande partie de ses charges de construction et d’entretien des routes. Le réseau routier pourra être très largement recyclé vers un usage meilleur. Par exemple, avec un métro efficace sur une des chaussées de l’autoroute Morges – Maladière.

Les transports publics sont du ressort de l’État. Ils sont gratuits. Pour les développer,  l’État disposera des moyens considérables libérés des routes ; il y aura de quoi être créatif. Bien sûr, il faudra un temps d’adaptation. Par contre, changer les bases de financement pourrait se faire très vite. Déjà aujourd’hui, beaucoup des voitures neuves sont équipées de traceurs GPS qui informent qui de droit – dont, naturellement la NSA – de tous les mouvements de la voiture. Ajouter un tel système à tous les autres véhicules serait le moindre des problèmes.

Face à un tel système, on imagine les hurlements contre l’espionite de l’État. Bof, on n’entend pas tellement ceux qui hurlent contre les diverses caméras et autres supercards. On imagine mieux encore les coliques de certains automobilistes obligés de mettre un frein à leur égo-mobile. Ma foi, il faut savoir où on veut aller. Pour le moment, c’est droit dans le mur.

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