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Recension d’un livre sur lequel Johannes Bronkhorst a attiré mon attention. Reich, D. (2018). Who we are and how we got here. Ancient DNA and the new science of the human past. (V. Books Ed.).

Reich, D. (2018). Who we are and how we got here. Ancient DNA and the new science of the human past.(V. Books Ed.).

Nous sommes tous uniques, chacun a son histoire, chacun a ses gènes. Ça va ! Mais quand on passe au groupe humain, parler de génétique avec le public devient beaucoup plus difficile. Le mot race est tabou en Europe ; il n’est pas plus facile aux USA, même s’il figure dans le passeport. Certains vont très loin dans la retenue ; Jacqueline Stevens, une politicienne des sciences US demande que les études se rapportant à la génétique des groupes soient bannies de la science, un comité spécial autorisant des exceptions au cas où un besoin de santé publique serait démontré (p. 250). J’avais pensé consacrer un chapitre de mon livre « Parcours » à la génétique des populations. J’ai abandonné en route. Le sujet est trop tendu.

Pourtant, la science de la génétique se développe de manière extraordinaire, sans que ses promoteurs se soucient beaucoup de l’impact social et politique de ces nouveaux développements. La première lecture du génome humain remonte à 2001. Elle a coûté quelque 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, on séquence un ADN humain en quelques heures, pour moins de 1000 $. Depuis une dizaine d’années, grâce en particulier aux travaux de Svante Pääbo, on sait aussi extraire et séquencer l’ADN d’individus morts depuis longtemps. On connaît ainsi l’ADN des hommes du Néandertal. Dans la foulée, à partir d’un petit os de phalange, on a séquencé les Denisovans, une espèce Homo dont on ignorait jusqu’à l’existence et qui, du jour au lendemain, s’est mise à raconter son histoire génétique comme n’importe qui d’entre nous. Ainsi explose la génétique des populations. D. Reich, l’auteur du présent livre est un des acteurs majeurs de cette révolution. Il est celui qui a « industrialisé » la lecture des génomes anciens. Dans son labo, on séquence beaucoup, vite et pas cher. Son intérêt porte en particulier sur l’ADN de personnes ayant vécu ces 10’000 dernières années, c’est-à-dire celles qui révèlent l’histoire de la révolution néolithique.

Disons aussi que Reich n’est pas un de ces spécialistes bornés dans sa science étroite. Il est ouvert et attentif aux conséquences sociales et politiques de ses travaux. Cette sensibilité imprègne chaque chapitre de son livre. Ce faisant, il n’apporte pas toujours les réponses satisfaisantes, mais toujours il nous force à y réfléchir avec lui.

Le livre s’articule en trois parties : (i) Introduction méthodologique (ii) Focalisation sur quelques groupes ethniques particuliers (je ne m’arrêterai qu’au chapitre sur l’Inde) et (iii) comment faire face au fossé entre cette science qui avance à toute vitesse et l’inquiétude populaire qu’elle suscite.

  • Méthodologie. Votre ADN est le même que le mien à – disons – 99,9%. La comparaison consiste à trouver les différences, base après base sur l’ensemble du génome. Ces différences caractérisent alors une forme de « distance » entre les deux génomes. La méthode est totale, mais laborieuse puisque 99,9 des paires ne contribuent pas à la différence. Une autre méthode consiste à ne comparer que des sites que l’on sait polymorphes (SNP : single nucleotid polymorphisme) et peut-être intéressants, parce qu’associés à un trait connu. Il ne suffit pas d’en analyser quelques-uns, il faut couvrir statistiquement l’ensemble du génome. Typiquement, un test porte sur un demi-million de sites analysés en un coup sur une plaquette qui vaut de l’ordre de 100 $. Ainsi se construit la matrice des distances entre paires d’individus. Cette matrice a beaucoup à dire. D’abord, la distance entre deux individus est un proxi du temps durant lequel ils ont évolué séparément, c’est-à dire le temps depuis leur dernier ancêtre commun. La suite est compliquée (c’est une science, elle s’appelle la cladistique); il s‘agit de combiner toutes ces paires en un grand arbre mettant en évidence le parcours évolutif de tous les individus l’un par rapport à l’autre. Il est aussi possible de comparer des groupes entre eux et de construire l’arbre de l’évolution des groupes. Le papa de ces techniques appliquées aux populations humaines s’appelle Cavalli-Sforza (1922 – 2018). On raconte que, dès les premiers travaux, il a été montré que les gens d’Isérables sont proche de certaines populations cabyles. La figure représente un résultat typique tiré des travaux de Cavalli-Sforza.

 

  • Six chapitres sur quelques grands groupes de populations.Il parle des Européens, des Américains d’origine, des gens de l’Asie de l’Est et de ceux d’Afrique. Chacun de ces chapitres précise pas mal de connaissances ethnologiques et historiques, il en bouscule surtout beaucoup parce qu’il apporte des données solides là où il n’y en avait pas beaucoup. Je ne rapporte ici que du chapitre sur l’Inde, et encore, je n’en ressors qu’un point : la fragmentation par le système des castes.
    Il y a 4 ou 5’000 ans en Inde, deux populations sont identifiables. Celle du Nord (Ancestral North Indians) a ses racines en Europe (choquant pour Narendra Modi), en Asie centrale et au Proche Orient. Celle du Sud (ASI) n’a presque pas de racines dont il reste des traces ailleurs sauf une petite population remarquablement conservée dans une des îles Andaman dans l’Océan indien. Ensuite, est venu le grand mélange, mais un mélange strictement limité par le système des castes. Ce n’est pas que les castes traditionnelles qui sont impliquées. Guère connu que des Indiens ou des spécialistes, il existe aussi le système jati, parallèle aux castes, mais induisant une fragmentation plus fine encore. Un groupe jatipeut contenir des individus de plusieurs castes et, avec le temps, il peut évoluer dans la hiérarchie des castes.
    La chose extraordinaire que révèlent les études de Reich, c’est la stricte endogamie des castes et des Typiquement, au moins 99% des enfants sont conçus à l’intérieur du groupe. Chacun de ces groupesest génétiquement homogène. Leur origine peut être retracée à un petit nombre d’individus (bottle neck) qui s’est ensuite reproduit strictement entre eux, souvent pendant des milliers d’années. On en arrive à cette situation bizarre de groupes génétiquement extrêmement homogènes, mais cohabitant avec d’autres groupes génétiquement très différents. À l’intérieur du groupe, la distance génétique entre les individus est aussi petite que dans les populations les plus confinées géographiquement ou culturellement (certains groupes en Finlande ou les juifs ashkénazes) alors que, entre les groupes, il y a autant de distance que, par exemple, entre les Espagnols et les Suédois (ou pire encore, entre les Vaudois et les Bâlois.)
    La culture a ainsi façonné la génétique. Quelles en sont les conséquences ? Elles sont sans doute mauvaises pour la santé publique ; qu’en est-il socialement et politiquement ? Oh, la la !
  • Que faire quand les données de la génétique particularisent un groupe parmi les autres ? Le terrain est glissant, la ségrégation n’est pas loin, certains pourraient en profiter pour contester la nécessaire unité des humains sur la planète Terre. Alors que faire face à l’avalanche des données de la génétique des populations qui mettent aussi bien en évidence l’unité que la divergence ? Il ne s’agit pas de faire semblant que la différence n’existe pas ; il s’agit de l’accueillir avec sagesse et bienveillance. Reich y consacre presque une centaine de pages. Il faut les lire, ce sont les plus importantes du livre, mais il en faudra encore beaucoup d’autres.

 

En relation avec ce qui est dit ci-dessus, il est intéressant de lire dans le cahier de Nature du 25 juillet, la recension par A. Saini d’un livre (que je n’ai pas lu) de G. Evans. Il s’agit ici de comprendre comment et pourquoi certains groupes paraissent exceller dans tel ou tel sport.

Face aux différences, Reich appelle à l’ouverture, Saini prône la fermeture en dénonçant avec rage l’idée même qu’il pourrait y avoir des différences génétiques. Je trouve qu’un journal scientifique devrait s’abstenir d’étaler un tel parti-pris.

Evans, G. (2019).Skin Deep: journey in the divisive science of race.: OneWorld.

 Saini, A. (2019). Sports and IQ: the persistence of race ‘science’ in competition. Nature, 571(7766), 474-475. doi:10.1038/d41586-019-02244-w

Dupuy, J.-P. (2005). Petite metaphysique des tsunamis: Éditions du Seuil.

Je doute avoir compris le fond de sa pensée. 

Une analyse philosophique du mal avec, selon moi, un encrage dans l’idée que le mal est un scandale et que la shoa – mauvais mot selon lui – a cassé toutes les échelles et ouvrant le monde sur un nouveau catastrophisme. 

Il analyse le mal et les désastres en se référant à tout ce qui a été dit sur le sujet, Voltaire et Rousseau en particulier , mais je ne comprend pas très bien quel fil rouge il suit lui-même si ce n’est l’intrication du mal et du divin. Il utilise beaucoup le mot transcendance; la sienne est divine. 

Il conclut – si je comprends bien – que le mal explose dans la modernité, ouvrant ainsi  les désastres avenir. Il termine ainsi: 

« … quand l’humanité, dans la panique, découvrira l’étendue du désastre [il faudra qu’elle] marque une pause … pour accéder à la conscience au moment même où sa survie est en question. … Seul un miracle pourrait le permettre, à condition surtout que nous ne l’espérions pas. »

Donc, surtout ne pas croire au miracle, c’est à dire à quelque chose qui pourrait nous sauver. En particulier il rejette  durement le « catastrophisme éclairé » ou  l' »institutional design », c’est à dire « un design qui ne se limite pas aux chaises … mais qui porte désormais aussi sur les institutions et les nations… ». Il admet qu’on ne peut rien faire, c’est foutu, peut-être, du désastre, en sortira un homme nouveau.

Personnellement, je trouve difficile de voir clair dans la soupe à la réalité et au mystique qu’il brasse.  Je crois qu’il est  plus facile de trouver son chemin en essayant d’être au clair sur la différence entre ce que la nature nous donne et ce que nous en faisons. Comme l’avenir n’est pas écrit, ce n’est certainement pas le rôle de ceux dont les générations ont produit cet état de déclarer qu’il n’y a rien à faire. Moi, je veux croire qu’il y a.

Guillaud, F. (2013). Dieu existe.

Nous parlons avec un collègue impliqué dans l’enseignement Biologie et société. Il est historien des sciences à l’UNIL. Il semble mal à l’aise avec la place qu’occupe la théorie de l’évolution chez les biologistes. Nous approfondissons la conversation. Il apparaît que le problème est transcendantal. Il me conseille de lire:

Guillaud, F. (2013). Dieu existe. Arguments philosophiques. Paris: Les Éditions du Cerf. Continuer la lecture de Guillaud, F. (2013). Dieu existe.

Mishra, P. (2017). Age of Anger: A History of the Present. Allen Lane.

Courte recension dans Nature du 2.2.2017 (p. 29)

Je n’ai lu qu’une courte recension, mais l’idée me semble intéressante. Je la formule à ma façon.

Résumé:

Pourquoi notre époque est-elle politiquement tellement tumultueuse? Du temps de l’Indouhisme, il n’y avait pas de quoi penser politique. Le présent et l’avenir étaient scellés.

Mishra remarque que c’est avec les Lumière et la révolution industrielle qu’est venue l’idée de la liberté individuelle et, qu’elle est aussi mon affaire. Depuis, la philosophie et le discours sous toutes ses formes s’en sont gobergés, mais le gouffre entre la narration et la réalité est resté terriblement béant dans l’inéquité culturelle, socioéconomique et raciale,

Le problème actuel, c’est que le gouffre est devenu visible à tous. L’information, la mondialisation, le discours politique, la publicité, l’idée « je peux », le web qui m’y fait croire, tout y conjure.

Conséquence: Blocher, Trump, Brexit, la haine de l’occident.

J’ai bien envie de lire ce livre.

 

Note: Pankaj Mishra is an essayist and novelist. Born in 1969, he grew up in small towns in northern India and studied in Allahabad and New Delhi. On graduating, Mishra moved to Mashobra, a Himalayan village, where, he has said there was “nothing to do except read and write”. He contributes essays and reviews regularly to the New York Review of Books, the New Yorker and the London Review of Books. His books include the novel The Romantics (2000) and From the Ruins of Empire (2012), which was shortlisted for the Orwell prize. His latest, Age of Anger: A History of the Present, is published by Allen Lane this month. He divides his time between London and India. https://www.theguardian.com/culture/2017/jan/22/on-my-radar-pankaj-mishra-the-night-of-mountains-may-depart-aurelec-oj-made-america-bharatanatyam

Servage digital

Cette année, du 14 au 16 octobre, le colloque d’Academia Engelberg avait pour objet « Les systèmes économiques du futur ». J’ai trouvé médiocre et d’un étonnant manque de souffle. Le président d’Avenir Suisse était lamentable, le président d’Économie Suisse était « sachlich » et intéressant, mais son message – ça va remarquablement bien chez nous, que faire pour que ça continue – était un peu court par rapport aux ambitions du colloque. Quant à la bande de théoriciens académiques, je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’elle voulait dire. Notons que parmi les 13 conférenciers, il n’y avait pas une femme. Il faut le faire!

Pour moi, une seule présentation sortait du lot: Hennes Grassegger, un jeune économiste-journalise, auteur d’un récent pamphlet en forme de manifeste dénonçant le servage dans lequel nous enferme l’hydre de l’économie digitale. J’ai passé la soirée au Titlis avec lui. Il est gonflé, mais diablement intéressant. Grassegger, H., Das Kapital bin ich. Schluss mit der digitalen Leieigenschaft! 2015, Zurich, Berlin: Kein & Aber. Essayons d’y voir clair. Continuer la lecture de Servage digital

Wade, N. A troublesome inheritance.

Genes, Race and Human History.
2014, New York: Pinguin Books.

Y a-t-il des vérités qu’il ne faut pas dire? En tous cas parler de races est très difficile dans notre société. Le livre de Wade aborde la question sans détour. Il présente les faits et il élabores des hypothèses sur leurs vraisemblables conséquences. La lecture est passionnante et donne ample matière à penser. Elle est dérangeante parce que, de race à racisme, le pas est vite franchi. Il ne l’est pas dans ce livre mais le chapitre qui éclairerait ce danger manque sombrement.
Continuer la lecture de Wade, N. A troublesome inheritance.

Borasio, G.D., Mourir. Ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer. Le savoir suisse. 2014 (2012): Ppur.

Le prof. Borasio est chef du service de médecine palliative au CHUV. Il a précédemment fait un travail de pionnier à Munich. J’ai fait sa connaissance dans une commission de nomination pour un prof. de théologie pratique à laquelle je participais en tant que délégué du Bureau d’égalité. C’est ainsi que j’ai découvert son petit bouquin qui fait penser à deux autres qui m’ont récemment plu:

Layard, R., Happiness. Lesson from a new science. 2005, London: Penguin Books.

Dolan, P., Happiness by Design. 2014, UK: Pinguin.

Dans ces trois cas, nous avons des personnes qui en savent beaucoup sur le sujet parce qu’ils l’ont étudié professionnellement et qu’ils l’analysent avec humanisme. Encore une fois, le résultat est bon quand la sensibilité humaniste s’épanouit par la raison alimentée des connaissances objectives.

C’est amusant de constater que, comme toutes personnes un peu cultivées, nous savons pas mal de choses sur la naissance; quels sont les phases, les problèmes possibles, les moyens de les prévenir? Sur la mort, c’est fou ce que l’on n’en sait peu. Ce livre comble cette lacune élémentaire. Mais il faut beaucoup mieux. Il place la mort dans la globalité de la vie de chacun, avec tranquillité et bienveillance, non pas pour mieux mourir, mais pour mieux se préparer et vivre un temps de la vie par lequel, comme la naissance, nous passerons tous.

Je retiens au passage son plaidoyer pour la relaxation « transcendantale » abordée pragmatiquement, comme le reste. Il renvoie à: Kabat-Zinn, J. Au coeur de la tourmente, la pleine conscience. J’ai lu. 2012.

Oliver Sacks

Oliver Sacks est mort le 30 août agé de 82 ans.

Oliver Sacks que nous avons tous lu (l’homme qui prenait sa femme pour son chapeau; musicophilia; etc.), a publié au dernier moment son dernier livre, une autobiographie intitulée « On the Move: A Life ». (Je n’ai pas lu mais j’ai écouté le podcast (go.nature.com/awsgzg) et lu la récenssion (Nature 521, 158-9). On savait sa vie intéressante mais j’ignorait que sa jeunesse a été remarquable. Dans le style Easy Rider, il a tout fait pour en faire plus sans se fixer sur rien. Apparemment son homosexualité, longtemps mal assumée, fut importante. Il a maintenant 81 ans. Il affirme sa « foi renouvelée en demain et après-demain ». Pour ce qui me concerne, je n’ai pas eu une jeunesse – ni une vie – de bâton de chaise mais pour la conclusion, je partage.

 

Interdisciplinarité, Einstein, Changeux et les philosophes

Canales, J. (2015). The Physicist and the Philosopher: Einstein, Bergson and the Debate That Changed Our Understanding of Time. , Princton Univ. Press.

Rapporté par Graham Farmelo, Nature 521, 286-7.

C’était le 6.4.1922, une rencontre à la société française de philossophe. Bergson avait 63 ans, Einstein 43. Bergson commence par expliquer pendant plus d’une demi heure que le temps est indiscociable de notre subjectivité. Einstein répondit en moins d’une minute qu’il y a un temps psychologique et un temps physique. Le temps philosophique n’existe pas.

Voici qui me rappelle étrangement: Changeux, J.-P. and P. Ricoeur (1998). Ce qui nous fait penser. La Nature et la Règle, Odile Jacob.

Je ne sais pas si Ricoeur ou Bergson avait vraiment quelque chose de valable à dire sur la pensée ou le temps mais Changeux et Einstein avaient certainement des choses à dire qu’une démarche interdisciplinaire aurait donné à leur partenaire l’occasion d’intégrer. Ce ne fut pas le cas.

L’analogie avec ∏ est assez évidente.