Avec Adrienne, nous pensons retraite ; elle s’y prépare, j’y goge.
Nous sommes d’accord, il y a trop à faire. Le succès d’une journée de retraité dépend de la sévérité du tri. Un peu de structuration peut aider. Voyons ça.
Nous sommes aussi d’accord sur les 4S quoique nous divergeons encore sur la signification du dernier S. Il mérite une explication.
Nous avons donc :
Se – self : il s’agit de s’aimer
So – social : il s’agit d’aimer les autres
Sc – science : il s’agit de cultiver le bonheur d’apprendre, de comprendre et de le partager. (Lucy en remarque l’idiosyncrasie; c’est vrai, dans le rapport annuel, les fils rouges de la vie étaient d’avantages différentiés: pour Christine, l’art et la beauté, pour moi, apprendre. Ma foi, ici, c’est mon Blog!)
S – entropie (un peu ésotérique) : il s’agit de, si ce n’est la vaincre, du moins la maitriser.
Je m’explique.
Succinctement, nous avons : G = E – TS.
Disons que la thermodynamique – une science magnifique – montre que l’énergie libre G, c’est-à-dire l’énergie dont on peut librement disposer, est formée de deux composantes. La première est l’énergie interne E. En ce qui nous concerne, E est la résultante de toutes les énergies que nous avons en nous. La deuxième est l’effort TS de mise en ordre nécessaire à réaliser cette énergie. Il est d’autant plus grand que la température T est élevée, c’est-à-dire que le monde est agité.
L’entropie S (c’est ainsi qu’elle est désignée depuis sa conception par Clausius en 1865) mesure le désordre ; TS est l’énergie qu’il faut dépenser pour le surmonter.
Citons quelques composantes de S, relevantes à l’harmonie du retraité :
Le ménage et la mise en ordre du logement.
La préparation d’une nourriture fructueuse.
La culture du jardin.
Il y en a bien d’autres.
Bref, S détermine le travail d’intendance nécessaire à accéder aux vraies valeurs de la retraite.
Nous y reviendrons.
________________________________________________________________
Une semaine de mesure en janvier
Du mardi 7 au lundi 13 janvier 2014 | |||||
Total | Se | So | Sc | S | |
Total hebdo (h) | 109h 30′ | 14h 54′ | 36h 49′ | 13h | 44h 46′ |
Moy. jour (h) | 15h 38′ | 2h 08′ | 5h 16′ | 1h 51′ | 6h 24′ |
% | 100 | 14 | 34 | 12 | 40 |
En pratique la mesure est assez arbitraire. Ainsi, par exemple, je pose conventionnellement que l’activité « courriel » compte moitié pour social, moitié pour intendance. Semblablement, les repas avec Christine sont pour moitié du social et moitié du self.
La première constatation est le grand poids de l’intendance, ce qui ne surprend pas. Plus surprenant est la grande place du social et le peu qui reste pour ma science, y compris pour la lecture sérieuse.
À reprendre de temps en temps.
En lisant tes réflexions sur les retraités, il m’est venu une question:
est-ce-que l’énergie que j’appellerais psychique, est de même nature que l’énergie que l’on trouve dans la matière? L’énergie produite par un tremblement de terre ou la fission de l’atome est de même nature que l’énergie que tu mets à ranger ta cuisine?
Et l’énergie dont parle le yoga ou autres disciplines orientales est-elle aussi de même nature?
J’ai lu dernièrement un débat entre un philosophe et un théologien.
Le théologien parlait d’une energie qui habite le monde et tend vers le bien, … Et que penser de cette energie là?
A très bientôt, pleins d’energie!
Marianne demande : « Tu parles d’énergie. Est-ce-que l’énergie que j’appellerais psychique, est de même nature que l’énergie physique? »
Non ! Ma structuration de l’énergie et de l’entropie du retraité n’est pas un modèle mais une métaphore. Elle est du domaine de l’épistémologie, non de l’ontologie.
Précisions.
Il est fondamentalement difficile de définir une grandeur physique fondamentale. Pour le temps par exemple, on ne sait pas dire beaucoup mieux que « Le temps est ce que mesure la meilleure des horloge », ce qui n’est déjà pas mal puisqu’on sait le mesurer à une précision relative de 0,000’000’000’000’000’01.
Pour l’énergie, c’est différent, mais c’est mieux : L’énergie est ce machin-truc qui peut prendre différentes formes – par exemple, le travail ou la chaleur – dont la somme est constante. Ainsi l’énergie repose sur une base solide, une loi physique, la conservation de l’énergie. Ce n’est pas une loi d’à peu près. Elle se prétend absolue. Un jour peut-être, il faudra la changer. Ce sera intéressant. Pour le moment elle n’a jamais été mise en défaut et elle est probablement le meilleur fondement de toute la physique.
Toutefois, pour pouvoir en tirer avantage, il faut savoir de quoi on parle. En particulier il faut pouvoir isoler le bout de monde que l’on veut étudier afin de pouvoir y mesurer le fameux bilan qui, comme en comptabilité, doit toujours être équilibré. Mes comptes sont nuls et non avenus s’il y entre des sommes qui n’ont pas de contre-partie. Semblablement, je peux oublier les bienfaits de l’énergie lorsque je ne connais pas toutes ses transformations et tous ses échanges avec le monde extérieur. Quant à la thermodynamique de mon retraité cultivant son jardin et cuisinant son repas, elle est complètement hors contrôle au point de vue énergétique. Rien n’est correctement défini, ni les formes, ni les échanges, ni les limites du système. Non, vraiment, il n’y a pas là matière à physique.
Il ne s’agit pas de cela. Tu sites les yogis chez qui le concept d’énergie semble être aussi important que chez les théologiens (cf. Teilhard de Chardin (1)(2): L’Énergie humaine, 1962, ou L’Activation de l’énergie,1963). Je pense aussi à Marie, ma podologue favorite, qui fait circuler les énergies en triturant les dessous-de-pied. Elle sait de quoi elle parle parce que, après le massage, les patients se disent plein d’énergie et le plus souvent, ils reviennent ; elle le mesure à l’état de ses fins de mois. Mais alors, quelle est cette énergie là ? Une chose est sûre, ce n’est pas celle des physiciens. Certains d’ailleurs (j’en ai été quelque fois) s’offusquent de la « dépravation » d’un si merveilleux concept par ceux qui n’y comprennent rien. Ils ont tort. En effet, comment peut-on prétendre monopoliser le mot alors que son usage est bien antérieur au concept de conservation de l’énergie (3).
Pour bien saisir la différence entre énergie et énergie, il est bon de différencier deux concepts:
(a) La réalité. Le monde existe, la chose en soi (Kant) est une réalité, elle n’a pas besoin que je la regarde pour qu’elle soit, n’en déplaise à certain philosophes baveux dont je plains la vie d’inquiétude face à la possible immatérialité du sol. Ceci est le domaine de l’ontologie et de l’énergie des physiciens.
(b) L’image mentale que nous nous en faisons. J’ai assez écrit sur ma chienne Gaïa et sa fine stratégie lorsqu’elle cherchait le bâton derrière les murs de vignes, pour ne pas tout reprendre ici, si ce n’est pour insister sur le fait que le concept d’image mentale s’applique à touts les être vivant, que chez l’humain il explose, en particulier à travers le langage, et pour appeler à l’aide quelques-uns de ceux qui m’ont enseigné de bonnes idées à propos de l’image mentale, en particulier à Damasio (2002 : Le sentiment même de soi), Churchland (2013 : Touching a Nerve – The Self as Brain) et bien sûre, mon copain Johannes (Bronkhorst, 2013 : Absorption). Le mot épistémologie, me semble bien correspondre à l’ensemble de ce domaine dans lequel le mot énergie a toute sa place.
Mon cerveau fait 1.5 kg. L’univers fait beaucoup plus. Quelle relation peut-il y avoir entre mon image mentale et la réalité ? Première évidence : restons modeste.
Si je pense à une pomme, j’invoque quelques aspects de l’objet réel « pomme » qui ont trouvé résonnance dans mon cerveau. Cette image mentale m’est utile pour répondre à mes émotions et faire mes courses à la Migros. Elle l’est aussi pour communiquer avec autrui, étant bien entendu qu’il est alors avantageux que ma « pomme » et la sienne soient en correspondance raisonnable. Bronkhorst fait remarquer que, plus le locuteur à de connaissance, plus la pomme grandit. Le botaniste verra aussi la pomme sur le pommier, le pommier dans le verger, et moi, je la vois toute microscopique. En poussant à l’extrême la pomme disparaît chez celui qui serait omniscient. Dieu n’a pas de langage. Il voit tout en tout temps. Pour nous, le mot est le ppcd (plus petit commun diviseur) permettant d’évoquer le concept dans notre propre image mentale et de communiquer avec un concept fonctionnellement similaire dans l’image de mon interlocuteur.
Revenons à la retraite. J’observe avec désagrément combien faire de l’ordre sous toutes ses forme prends du temps et de l’énergie (celle dont parle Marie). Les Dub de Morges auraient même tendance à dire que c’est leur principal problème. Comme bon physicien, je trouve amusant que le rapport entre l’ordre (associé à l’entropie) et l’énergie (celle qui se conserve) soit le sujet du premier chapitre du Feynman (1965, Lectures on Physics, LE cours de physique, jamais égalé – on y reviendra). La métaphore mettant en relation ces deux éléments de la vie du retraité me semble jolie. Elle a sans doute quelque part une légitimité réaliste mais ça, c’est beaucoup trop compliqué pour moi.
Par contre ce qui est facile, c’est que les trois premiers S des tâches de ma retraite me sont venues à l’esprit sans effort. Par symétrie il en fallait un 4e. Merci à Clausius d’avoir désigné par S le concept d’entropie qu’il avait introduit dans ses équations.
Notes:
(1) Ayant passé à la nouvelle version du système de mon ordi, je n’ai momentanément plus accès à mes références. On les ajoutera en temps voulu.
(2) Marianne, ayons une pensée émue pour les années 68 et notre cohabitation de Prévost-Martin à Genève, où l’œuvre complète du dit Teilhard faisait la meilleure impression dans la bibliothèque du séjour. Elle faisait impression, oui mais peut-être pas beaucoup plus car, quand Lucy voulut tirer ces ouvrages prometteurs de leur poussière, elle du constater que la plus part n’étaient pas coupés.
(3) Le TLF (Trésor de la Langue Française ; nous apprend que, vers 1500, le mot énergie était utilisé dans le sens de « puissance d’action, efficacité, pouvoir ».
« Il apparaît à l’évidence que tout homme plongé dans la Science subit une poussée de bas en haut susceptible de lui remonter le moral. »
Desproges.