Novembre 2015

Actualité scientifique selon Jacques

Novembre 2015

Changement de rythme.

La lecture un peu attentive de Science et de Nature prend du temps; un peu trop pour l’équilibre des 4S (Self, Social, Science, Service). Je n’ai pas renouvelé mon abonnement à Nature. 2016 sera l’année Science. Bizarre, aux dernières nouvelles arrivent encore quelques numéros épars.

(Nous gardons un oeil attentif sur la cryo-ME:

– Ge, J., et al., Architecture of the mammalian mechanosensitive Piezo1 channel.
Nature, 2015. 527(64 – 69). (4.8Å, 900KD)

– Hite, R.K., et al., Cryo-electron microscopy structure of the
Slo2.2 Na1-activated K1 channel.
Nature, 2015. 527.
(4.5Å, Un cristallographe X, prix Nobel, se met avec un des meilleur
cryo-me-ist pour faire avancer son projet.)

– Fan, G., et al., Gating machinery of InsP3R channels revealed by electron cryomicroscopy. Nature, 2015. 527(7578): p. 336 – 341. (le groupe de Wah Chiu)

– Zhang, X. and e. al., In situ structures of the segmented genomes and RNA
polymerase complex inside a dsRNA virus. .
Nature 2015. 527(7579):
p. 531 (Calif et Guangzhou. 5.1 Å annoncée.)

 

01.11.15 Scientific American

(pas d’inspiration sauf peut-être l’article sur l’apprentissage du langage par les enfants)

 

06.11.15. Science 350, 6261.

– 612. SANTÉ, MORTALITÉ. Les jeunes. (Note du PNAS.) La mortalité de hommes d’âge moyen US avec formation scolaire jusqu’au collège a crû e 22% de 1999 – 2013. À vérifier.

 

– 634 – 5, 651 (résumé). ÉPIGÉNÉTIQUE, MÉTHYLATION D’HISTONES. Laurée. La perturbation de la méthylation des histones lors du développement du sperme influence la santé de la descendance. Toutes les cellules ont le même ADN mais la lecture qui en est faite est fort différente dans un neurone ou une cellule de peau. C’est l’épigénétique qui inscrit, au cours du développement de l’organisme, les marques de lectures qui font la différence. Ce sont – en attendant d’en trouver d’autres – la méthylation de l’ADN, la modification des histones contrôlant l’empaquetage de l’ADN et beaucoup de petit RNA avec leurs riches propriétés régulatrices des fonctions de l’ADN. En principe, le développement recommence dans un nouvel embryon; l’épigénétique est donc remise à zéro à la fécondation. Depuis quelque temps, apparaissent des résultats suggérant que la remise à zéro n’est pas toujours complète. La plupart des résultats se rapportent à la méthylation épigénétique de l’ADN. C’est un sujet qui occupe une belle place dans les discussions avec Laurée.

À part cela, l’épigénétique peut avoir des problèmes. Les gènes et les molécules qui la contrôlent peuvent être mal foutus et agir de travers. On parle d’épimutations.

Dans le présent travail, on a activé momentanément dans une souris un gène qui fausse la méthylation des histones (pas du DNA) du sperme en voie de développement. Ce sperme ainsi épimuté est utilisé pour féconder une autre souris (au fonctionnement épigénétique normal). Le résultat est des souris filles malades. Ainsi donc, le message épigénétique abimé lors du développement du sperme n’est pas remis à zéro lors de la fécondation. Il influence encore les générations suivantes. Ceci est d’autant plus surprenant que les histones sont presque complètement remplacées par des petits peptides, les protamines, durant la maturation du sperme. Seuls quelques % de l’ADN restent tapissés d’histone dans le sperme mature.

Soyons bien clairs, cette expérience prouvant la transmission épigénétique d’une perturbation ne signifie nullement que cette transmission soit fonctionnelle.

 

12.11.2015, Nature 527
Biological research: Rethink biosafety
Tim Trevan calls on those working with organisms that are hazardous, or could be so, to take lessons from the nuclear industries, hospitals and other sectors that have established a safety culture.

CRISPR: A path through the thicket
As various advisory bodies, scientific organizations and funding agencies deliberate on genome editing in humans, Debra J. H. Mathews, Robin Lovell-Badge and colleagues lay out some key points for consideration.

 

13.11.2015. Science 350, 6262.

– 726 – 7. ÉNERGIE NUCLÉAIRE, THORIUM. Éric Z. Le futur est-il aux réacteurs au thorium? D’abord quelques propriétés: Les réserves de thorium sont 4x celles de l’U. Le Th-232 n’est pas fissible. Sous irradiation neutronique il se transforme en U-233 fissible dont les produits de désintégration seraient moins difficile à maitriser que ceux de l’U-235. Par contre il serait inutilisable pour une bombe, car le cycle du thorium produit abondance de rayons gamma de haute énergie mortelle pour n’importe quelle électronique. Bonnes réserves, pas de bombes (ce qui lui valu l’injuste défaveur initiale puisque la filière U est issue de la bombe) cela suffit à convaincre certains que le Th est l’avenir de l’énergie nucléaire. Techniquement, on peut faire ces réacteurs sous forme compacte. C’est pour cette raison qu’on imaginait dans les années 60, d’en faire des réacteurs pour avions. Aujourd’hui, un intéressant design est le réacteur à sel fondu, dans lequel le liquide circulant est en même temps réactif (la fission de l’U-233 produit les neutrons qui transforment le Th-232 en U-233, etc.) et caloporteur. En cas de pépin grave ou de fuite, le réacteur se vide et le réacteur s’arrête de lui-même, bien mieux encore que dans les fameuses centrales à uranium dites de 3e génération. Ce sont les Indiens qui ont la plus grande réserve de Th. De ce fait, ils ont toujours été intéressés à la filière Th et, ailleurs, au moins 4 projets sont en travail. L’EU à lancé une grosse étude sur la sécurité de la filière à laquelle l’institut Paul Scherrer à Villigen est étroitement associé. Un des participants suisses affirme que la filière représente « un changement de paradigme dans la sécurité nucléaire ». Bof, on verra, mais pour le moment, je préfère le soleil.

 

– 728. CLIMAT, GLACIERS. Jean-Claude K. Comment l’échauffement des océans induit un flot glaciaire.

Glaciers Groenland _ Sci 13.11.15

40 années de données satellitaires de 6 agences spatiales permettent de faire une carte du mouvement de la glace sur presque tout le Groenland. Pendant les 25 premières années de cette période, le courant glaciaire du nord-est (plus grand complexe glaciaire du Groenland) ainsi qu’une grande partie des glaciers de l’ouest et du nord (voir fig.) étaient stables. Depuis 2000, ils se sont mis à couler à vitesse croissante qui dépasse maintenant dans plusieurs cas le km/année au débouché sur la mer. Ces données montrent la vulnérabilité des glaciers du Groenland à l’échauffement de la mer. Nous avons vu dans d’autres études que cette vulnérabilité a à faire avec la circulation de l’eau de fonte de la surface dans le socle glaciaire. Suivant les cas elle pourrait conduire à l’écoulement océanique dans ce même socle. L’effet pourrait alors être catastrophique. Un tel cas en préparation est repéré en Antarctique.

 

– 9015 – 9. COMPORTEMENT, GÉNÉTIQUE. Lauree, Clément. Un microRNA code un comportement de la drosophile. La larve de la drosophile mise sur le dos se retourne par un mouvement caractéristique. Il est découvert ici qu’une mutation dans le gène codant pour le microRNA (miR-iab4/iab8) affecte ce comportement de redressement. Une des cibles de ce miRNA est le gène Hox (caractéristique des organismes bilatéraux) Ultrabitorax dont la répression dans deux neurones spécifiques est nécessaire au comportement de redressement. À part le fait du miRNA contrôlant un comportement spécifique, cet article est remarquable car il relie le gène / le miRNA / les gènes cibles / les neurones cibles / le circuit nerveux affecté / le comportement spécifique.

Je me demande quel est mon neurone gratte à dos et quelle est la pilule de miRNA qui en aura l’effet?

 

– 820 – 2. ANTHROPOLOGIE, ORIGINE DE L’HOMME. Laurent L. G. Llorente et al. Le génome d’un ancien Éthiopien révèle les mélanges africains récents.
CORRECTION. Selon l’annonce de Nature du 4.2.16, le dernier § en italique est faux. Faux choix du programme de statistique!!! Ces gènes de retour d’Europe n’ont pas diffusés en Afrique de l’Ouest et Centrale. go.nature.com/tzfing
On le dit ainsi: un groupe a quitté l’Afrique il y a 40’000 ans; les autres africains sont restés; le reste du monde est descendant des expatriés. Simpliste évidemment! (voir par ex. Nature du 29.10, p.695.) Le présent article rapporte l’étude de la séquence d’ADN d’un Ethiopien qui vécut il y a quelque 4’500 ans. L’analyse montre qu’il était un descendant des fermiers néolithiques qui avaient colonisé l’Europe 4’000 ans plus tôt et que l’on retrouve maintenant au mieux chez les Sardes. Il apparait de plus que le retour du nord versl’Afrique est bien plus général qu’on ne l’imaginait. Il touche toutes les populations d’Afrique y compris les Yoroubas et Mbuti (pygmée) que l’on croyait de pures souches africaines, mais qui portent quand même un bon 7% de séquences « nordiques ».

19.11.2015. Nature 527, 7578.

– 275 – 6, 278. GENE DRIVE, SÉCURITÉ BIOLOGIQUE. Séverine, Delphine et Alain. Éditorial, rapport à propos de: http://doi.org/89h(2015). Le système Gene Drive permet de construire des OGM systématiquement dominants sur leur correspondant naturel. On construit ainsi l’organisme invasif idéal. Cela pourrait être intéressant pour éradiquer des organismes détestables (les moustiques de la malaria), mais l’idée de jouer ainsi avec des espèces naturelles inquiète. L’article dont il est question ici présente une méthode pour mieux contrôler le système Gene Drive en séparant génétiquement les deux constituants du système: le RNA-guide est sur le génome de l’organisme; le gène pour la DNAse Cas9 est placé sur un fragment d’ADN extérieur au génome.

L’éditorial loue la façon exemplaire dont la problématique a été prise en main par la communauté des spécialistes et la réponse constructive présentée ici.

Je ne suis pas rassuré. Le danger ne viendra pas du labo exemplaire vanté par les organes de contrôle et les éthiciens; il viendra des bâcleurs incompétents, des DIY-biologistes ou des groupes malveillants.  

 

– 280 DÉCHETS NUCLÉAIRES. Manu. News. La Finlande a approuvé la construction d’un dépôt définitif pour déchets nucléaires hautement radioactifs sur l’ile d’Olkiloto dans le golf de Botnie. Il y a déjà deux centrales nucléaires sur l’ile. Le dépôt sera à 400m de profondeur dans de l’argile. Il sera prêt en 2023.

Bravo les Finlandais! Comme on le sait, je suis résolument opposé à l’énergie nucléaire, mais les sales produits radioactifs n’ont rien à faire à la surface, à portée de n’importe quel accident, détournement ou attentat. Ils seront très bien, profondément enfouis sous terre, dans des terrains qui n’ont pas bougés depuis des centaines de millions d’années.

 Olkiluoto_Finlande

 

– 280. POISONS, POLLUTION. Antoine. News. Au début 2015, le WHO désignait le Glyphosate comme « probablement cancérigène ». Le 12 nov. la EFSA (European Food Safety Authority) conclut qu’il est improbable qu’il pose un risque de cancer pour les humains. Bon, bhin, on attendra encore un peu!

 

– 284 – 5. RELATIVITÉ GÉNÉRALE, ONDES GRAVITATIONNELLES. Manu.
Expérience intéressante: le véhicule « éclaireur LISA » devrait être lancé le 2 décembre.

Voici de quoi il s’agit. Lorsqu’une onde électromagnétique rencontre une charge électrique, elle l’agite, et lorsque la charge est agitée, elle émet une onde électromagnétique. Nous sommes à fin 2015. Il y a exactement 100 ans, Einstein trouvait la solution du problème de géométrie mathématique qui lui résistait depuis 2 ans: la relativité générale qui associe la gravitation à la structure de la géométrie naturelle. Trois ans plus tard, il en tirait une des conséquences: comme il existe des ondes électromagnétiques, il doit exister des ondes de gravité. Ainsi, un haltère tournant autour de son centre de gravité doit émettre une onde de gravité qui déforme l’espace environnant. Le problème est que l’espace est très peu élastique, vraiment très peu; le facteur de couplage entre l’énergie de l’onde et la déformation physique vaut 1.6.10-44 s2m-1kg-1 ! Que faire pour l’observer ? D’abord, on peut remplacer le médiocre haltère par des naines blanches ou des trous noirs qui se tournent autour. Un prix Nobel a été décerné à ceux qui ont identifié un tel système et montré qu’il perdait son énergie exactement – très exactement – comme Einstein l’avait prédit. Détecter directement l’onde gravitationnelle est une autre affaire. On calcule que sous l’effet de ce système binaire la Terre se déforme de 10-13m, un millième d’Å, un millième d’atome. C’est ceci qu’il s’agit de mesurer. Courage!

Plusieurs expériences sont en cours. Typiquement il s’agit de comparer la variation de longueur de deux bras perpendiculaires de quelques km de long. Même si certains prétendent y croire, ce n’est pas sérieux; sur Terre, il y a trop de vibrations ou autres agitations sismiques.

La solution LISA consiste à mesurer la distance entre deux masses en chute libre dans un coin tranquille de l’espace. La distance entre elles sera grande (1 million de km), le coin tranquille sera un point de Lagrange (dans un système comme le Soleil et la Terre, un point où un objet léger peut rester immobile par rapport aux deux autres). On saura mesurer la distance à 10pm (10-11m) et s’il n’y a pas de perturbations autres, les ondes gravitationnelles seront détectables. Ce n’est pas pour demain, c’est pour 2034.

Par contre demain, à l’heure où j’écris ces lignes, 2 décembre partira l’éclaireur LISA (il est parti le trois. aux dernières nouvelles, il va bien), porteur de deux petits cubes de 1 kg en or et platine, bien fixés chacun dans son alcôve, séparés de 38cm. Dans 55 jours LISA arrivera sur une trajectoire lente autour d’un point de Lagrange, ayant rejeté bien loin le moteur qui l’y a conduit. Alors, immensément délicatement, les deux masses seront libérées. Dès lors, libres dans les boites les protégeant de toute influence extérieure, les deux masses tomberont librement. Le conteneur, lui, subira les effets de perturbations tels que le vent solaire ou autre radiation dont il protège les deux cubes. Il devra donc manoeuvrer ses microréacteurs ioniques pour ajuster sa position et suivre exactement les 2 cubes dans leur chute. Le conteneur contient encore les lasers qui permettent d’exercer la mesure de distance entre les deux cubes à une précision frisant le pm.

Reste une question: quel est le but de cette recherche?

20.11.2015. Science 350, 6263.

– 938 – 943, 945 – 948. ÉNERGIE, BATTERIES, CELLULES PHOTOVOLTAÏQUES. Encore deux articles difficiles qui annoncent des progrès décisifs pour des batteries (maintenant sures et non toxiques) et des cellules solaires (maintenant pratiquement réalisables en pérovskite). Mon problème, c’est que, avec chacun de ces articles, il apparait que le magnifique progrès rapporté précédemment (voir mes rapports fréquents) avait besoin d’encore un petit coup de pouce.

Nous restons donc optimistes, mais patients et attentifs.

26.11.15. Nature 527, 7579.

– 413. ASTRONOMIE, PHOBOS. Highlights. Phobos, le plus grand satellite de Mars, va se casser. Je devais avoir dans les 10 ans et j’avais appris que Phobos accélérait sa rotation, indiquant ainsi qu’il se rapprochait de Mars. L’interprétation qui m’avait fasciné alors était que, pour être ainsi freiné, il fallait que Phobos ait une densité ridiculement faible, c’est-à-dire être vide, c’est-à-dire être artificiel, c’est-à-dire qu’il faut aller y pour rencontrer les martiens, vieux et fatigués, qui, sans doute, y habitent.

Phobos

Plus proches de la réalité, les vues actuelles ne sont pas moins intéressantes. Phobos est en effet de faible densité et de gravité trop faible pour que soit compacté cet objet irrégulier. D’un point à l’autre à la surface, l’accélération de la pesanteur peut varier de 220%! De plus, proche de la planète avec sa période de révolution de 8h, il est soumis aux forces de la marée. L’énergie ainsi dissipée explique que le satellite se rapproche si rapidement de Mars. C’est aussi la cause des stries de la surface, fractures qui bientôt (dans 20 à 40 millions d’années), causeront la désintégration du satellite et la formation d’un anneau autour de Mars, comme chez Saturne, mais plus beau parce que plus près de chez nous. L’analyse de cette cassure fait l’objet d’une récente publication: http://doi.org/10.1038/ngeo2583(2015).

Avec un peu d’imagination, l’évènement sera du plus bel effet dans le film relatant la première expédition habitée sur Mars, à moins que le scénario ne développe l’affaire du dramatique sauvetage par ladite des derniers habitants de la planète réfugiés dans Phobos qui se casse. Hou là!

 

– 424 – 441. COP21, CLIMAT. Une bande dessinée pour rappeler l’histoire et encore deux articles. (i) Le point: comment on est arrivé au chiffre des 2 degrés et ce qu’il faut faire pour y arriver. (ii) La suite. « Tout est possible avec de bons modèles et des hypothèses irraisonnables, mais pour tenir les deux degrés, il faudra faire volteface. Le projet Volteface, va-t-on le faire passer au Conseil Communal de Morges? 

 

27. 11. 2015. Science 350, 6264

– 1011. ÉNERGIE, FUSION, ITER. Manu, Clément. News. ITER, le gigantesque projet international de réacteur à fusion nucléaire, en construction à Cadarache dans les Bouches-du-Rhone, devrait démontrer la faisabilité de la voie « solaire » pour la production d’énergie. Lancé en 2006 le projet prévoyait d’atteindre l’ignition en 10 ans pour le prix de 5 milliards. Ces deux chiffres ont rapidement crû à 2019 et 15 milliards. Ils sont accompagnés du flot continu de nouvelles sur les difficultés rencontrées dans la réalisation du projet. Il faut dire que le tout est mal foutu. D’abord, c’est mon opinion, on ne se lance pas dans la plus gargantuesque des aventures techniques quand x autres solutions théoriques et pratiques peuvent être considérées. Et puis, c’est la moindre des choses, la gouvernance doit être efficace. Ce ne fut pas le cas. Pour satisfaire tous les contributeurs, il a fallu que chacun reçoive une part du travail. Pour l’un, c’est la cuve, pour l’autre les aimants extérieurs, pour le 3e ce sont ceux de l’intérieur, etc., et le tout selon des critères aussi nationaux que financiers. L’ingénierie et la coordination ne s’en sortent pas au mieux. À la fin 2014, Bernard Bigot est nommé directeur avec la tâche de réorganiser la gouvernance du projet. Il reçoit aussi l’autorité nécessaire. C’est le résultat de son analyse qui remet maintenant les pendules et les comptes à jour: 6 ans de retard supplémentaires et au moins 2 milliards de plus.

Il semble presque impossible d’arrêter les grands projets techniques internationaux qui vont de travers. Celui-ci est peut-être le pire, mais la station spatiale le vaut presque. Dans les années 80, John Kendrew, mon patron au EMBL, avait présidé la commission UK qui avait proposé d’en finir avec le CERN. Je suis quand même content qu’il n’ait pas obtenu raison. Par contre, alors que 23 des 80 km du tunnel du SSC (le supercollisioneur supraconducteur US) étaient déjà percés au Texas, le congrès à tout stoppé du jour au lendemain en 1993. Y a-t-il de l’espoir pour qu’IRER soit enterré?

 

– 1014. SCIENCE, SOCIÉTÉ, GENE DRIVE. News. Nous avons souvent parlé de la méthode Gene Drive qui ferait qu’un OGM gagne à tout coup contre l’espèce native qui serait ainsi éliminée par remplacement. Première réaction: halt! insupportable danger! surtout ne pas s’y lancer avant d’y penser sérieusement! Depuis, on y pense, mais d’autres préparent les fameux OGM. L’idée est intéressante: faire que le plasmodium qui cause la malaria soit tué par le moustique qui en est le vecteur vers l’homme. Et voilà, c’est déjà fait. Pour cela il a fallu combiner les compétences d’une équipe qui avait caractérisé un groupe de gènes rendant la souris immune à la malaria avec celle d’un des groupes qui explore Gene Drive. Ensemble ils ont utilisé CRISPR-Cas9 pour introduire dans le moustique le gros morceau d’ADN issu de la souris; ce n’était pas évident, mais ça a marché. Ils ont aussi ajouté un gène qui change la couleur des yeux du moustique afin de repérer facilement les OGM réussis. Comme ces chercheurs sont des gens responsables et prudents, le travail s’est fait derrière 5 portes et ils ont choisi un moustique qui ne peut pas survivre dans le climat californien. Voilà, la bête est prête. Elle attend parce que « at the end of the day, unless you have widespread public support, you can’t do it… I hope I don’t have to wait the rest of my productive career… ».

Attendront-ils tous?  

 

 

30.11.2015. Conversation privée. BIAIS, ÉPIGÉNÉTIQUE. Elle est prof. en économie. Elle étudie ces gens qui s’engagent pour une cause plus grande qu’eux tels ceux qui consacrent, à grand risque, des années de leur vie pour sauver les baleines avec Greenpeace par exemple. L’idée classique des sociologues est que l’explication de ce comportement doit être cherchée dans le groupe. Elle voit plutôt le rôle de l’individu. Il y a quelques années, je lui avais suggéré de s’intéresser à la génétique qui pourrait apporter quelque éclairage sur la question. Affaire sans suite. Saut que l’autre jour, à la sortie d’un séminaire, elle m’aborde fermement avec le questionnement – plutôt l’affirmation – suivante: « Il parait qu’il se passe des choses révolutionnaires en biologie; je ne sais rien de ce que sont les gènes, mais j’ai compris qu’on a découvert que les évènements de la vie s’y marquent. C’est bien ça, hein! » Sans commentaire.