DCI, Dubochet Center for Imaging

Encore un cadeau. Le Grand Conseil a décidé à l’unanimité d’accorder un crédit de 4,3 millions pour loger le DCI (en français, le Centre Dubochet d’imagerie. De quoi s’agit-il ?

 

Pour fêter le prix Nobel qui m’avait été accordé en 2017, la région m’a gâté. L’Université de Lausanne a offert une place de parc à mon vélo. Le Conseil d’État a demandé au créatif sculpteur, François Junod, d’inventer une œuvre commémorative; elle trône dans notre salle à manger. L’UNIL, encore elle, me donne l’occasion et les moyens d’organiser une série de belles conférences. Aurélien Barrau fut le premier orateur avec une salve brillante pour la vie et le climat. Ensuite, le virus est survenu. D’accord avec l’UNIL et les conférenciers pressentis nous avons décidé de ne rien bâcler. Nous reprendrons la série quand les conditions permettront d’exprimer sans retenue l’Envie d’agir, https://www.unil.ch/dubochet/enviesdagir.

Et ce n’est toujours pas fini !  Le grand Conseil vaudois a récemment voté à l’unanimité un crédit de 4,3 millions destiné à construire une annexe au bâtiment Génopode de l’UNIL pour y abriter le DCI, de manière à ce que la Suisse romande redevienne ce qu’elle fut : leader mondial dans le développement et l’usage de la cryo-microscopie électronique (cryo-me).

 

La cryo-microscopie électronique (cryo-me).

Vous et moi sommes essentiellement faits d’eau. Le reste est ce qui y flotte ou y baigne. Or, la microscopie électronique qui, en principe, peut « voir » mille fois plus petit que la microscopie optique ne fonctionne que sous vide. Malheureusement, sous vide, l’eau s’évapore. Pendant 50 ans, les microscopistes électroniciens n’ont observé que des objets biologiques desséchés rappelant un aquarium sans eau. On a imaginé de surmonter cette difficulté en refroidissant les spécimens à une température où l’eau ne s’évapore pas. Malheureusement, l’eau très froide est de la glace et la matière biologique congelée est encore en plus mauvais état que la matière sèche. Ce fut notre grande chance – un peu sollicitée – que de découvrir, à la surprise de tous, qu’en refroidissant plus vite que les autres, il est possible d’immobiliser l’eau avant qu’elle ne cristallise. On appelle ce processus la vitrification. Trente-cinq ans, et beaucoup de travail plus tard – de nombreux groupes ont participé à l’effort – la découverte de la vitrification a débouché sur la cryo-microscopie électronique capable de déterminer la structure atomique d’à peu près n’importe quelle structure moléculaire mieux et plus vite que toute autre méthode existante.

Note d’actualité : la science va vite ; il se peut que l’intelligence artificielle – un mot à prendre avec des pincettes – soit en train de changer la donne. Nous en reparlerons.

 

Pourquoi la cryo-me est importante.

C’est l’arrangement des atomes qui détermine la fonction d’une structure biologique, par exemple celle de toutes les protéines inscrites dans le génome. Bien sûr, de la structure à la fonction il reste un grand pas avant que l’on comprenne « comment ça marche ». Il n’empêche que la structure atomique est la pierre angulaire sur laquelle cette connaissance peut se construire.

Par exemple, les spicules du virus SARS-CoV-2 s’attachent à un récepteur cellulaire pour initier l’attaque. On commence à bien connaître le mécanisme de serrure et de clé qui induit cette fonction. De temps en temps, le virus mute. Grâce à la cryo-me, il est possible de déterminer en quelques semaines en quoi la clé a changé de forme. Le plus souvent, la clé mutante est moins efficace. Quelquefois elle l’est davantage. Il est bon d’en avoir une bonne image. Aux gens des vaccins et des médicaments d’en faire bon usage.

Qu’il s’agisse de la fonction biologique normale, de cancer, de dégénération du système nerveux, ou de toutes maladies innées ou acquises, au départ, il s’agit toujours d’une fonction, désirable ou pathologique, dont la cause est un arrangement spécifique d’atomes. De ceux-ci, il en existe des dizaines de milliers qui demandent urgemment à être connus. Actuellement, les moyens manquent. Avec le DCI, la Suisse romande y apportera sa contribution, la meilleure.

 

DCI, de quoi s’agit-il ?

J’ai commencé ma retraite il y a 14 ans, après 20 ans à la direction du Département d’Analyse Ultrastructurale (DAU) de l’UNIL. Nous y avions poursuivi le développement de la cryo-me initiée dès les années 80 au Laboratoire européen de Biologie moléculaire à Heidelberg. Au moment où je quittais la recherche en 2007, il y avait, dans le monde, une bonne dizaine de laboratoires qui travaillaient à améliorer la cryo-me.  C’était le temps de la « blobologie » comme le disait avec humour ceux qui utilisaient les rayons X ou la résonnance magnétique nucléaire pour déterminer la structure des macromolécules de la biologie. Pour eux, la résolution atomique était le pain quotidien. Nous, cryo-microscopistes électroniciens, ne distinguions encore que des « blobs » plus ou moins flous à la surface des molécules. Pourtant ces images insuffisamment précises s’affinaient d’année en année et le but d’atteindre, une fois, la fameuse résolution atomique motivait un nombre croissant de laboratoires. À ma retraite, l’UNIL fit alors un autre choix. Elle ferma le DAU. Peu après, elle s’aperçut quand même que les chercheurs de la biologie ne pouvaient pas se passer d’un accès à la microscopie électronique, du moins dans sa forme traditionnelle. L’UNIL réinstalla donc une plate-forme destinée à rendre cette technique accessible aux biologistes de l’UNIL et de l’EPFL. Cette plate-forme est brillante. Elle fonctionne parfaitement.

2017, prix Nobel ! La cryo-me était finalement arrivée au point de pouvoir résoudre la structure atomique d’à peu près n’importe quelle macromolécule biologique mieux et plus vite que toute autre méthode. C’était une révolution. Nouria Hernandez, rectrice de l’UNIL, et Martin Vetterli, président de l’EPFL se dirent qu’il était bien dommage de ne conserver que le souvenir de leur fameux étudiant d’autrefois et professeur honoraire d’aujourd’hui. Ils décidèrent de créer le Dubochet Center for Imaging, DCI,

https://www.dci-lausanne.org/

qui fut bientôt élargi dans le cadre d’une collaboration étroite avec l’Université de Genève,

https://cryoem.unige.ch,
où j’avais reçu ma première initiation à la recherche à la fin des années 60.

La DCI aura deux entités, une à Lausanne (DCI Lausanne) sous la direction de Henning Stahlberg, et une à Genève (CryoGEnic ou DCI Genève, sous la direction de Robbie Loewith). Ces deux sites formeront un centre commun qui développera des méthodes pour faire progresser la cryomicroscopie électronique, et qui fournira à la région Swiss Lemanic une analyse structurale de pointe pour la recherche en sciences de la vie.

 

Pour réaliser ce but ambitieux, les trois institutions ne lésinèrent ni sur le travail ni sur les moyens. Ainsi, malgré le virus, le Centre est aujourd’hui quasiment opérationnel.

La rapidité avec laquelle le projet a été mis en œuvre est admirable. Elle est due au soutien extraordinaire de la direction de l’EPFL, de l’UNIL et de l’UNIGE ainsi qu’à l’efficacité du directeur du projet lausannois, le prof. Henning Stahlberg, un cryo-microscopiste qui dirigeait précédemment un centre réputé à Bâle. Henning est aussi bien connu à Lausanne ; il a fait sa thèse sous ma direction dans le cadre d’une collaboration entre le DAU et le laboratoire du prof. Horst Vogel à l’EPFL.

À Lausanne, le DCI est un gros projet. Il comprend six cryo-microscopes électroniques de la toute dernière génération ainsi que tous les équipements associés pour la préparation des spécimens et le traitement des données. Pour cela, il a fallu trouver des locaux. Les physiciens du Cubotron – le bâtiment de l’UNIL transféré à l’EPFL dans le cadre du grand réarrangement du début du siècle – ont accepté de céder un très grand local relativement peu utilisé. Nouvellement aménagé, il offre une solution provisoire à la mise en route du projet. Elle n’est pas optimale, tout y est serré. Surtout, les conditions électromagnétiques du lieu sont affectées par la ligne du métro M2 et du câble électrique principal reliant l’UNIL à l’EPFL. Il a fallu de subtiles contre-mesures pour en maîtriser les effets. Aujourd’hui, les premiers de ces microscopes sont fonctionnels, la recherche a commencé et le flot d’utilisateurs extérieur va débuter incessamment. Il reste pourtant urgent de trouver un autre emplacement qui soit à la hauteur des ambitions de la jeune équipe et de ses formidables instruments. Les 4,3 millions que le Grand Conseil vient d’allouer sont destinés à construire, dans les meilleurs délais, une annexe au bâtiment du Genopode dans lequel le DCI trouvera les conditions favorables dont il a besoin. Les plans sont prêts. Les travaux peuvent commencer. Le déménagement devrait se faire en 2023 en attendant que la solution optimale et définitive soit construite dans le nouveau bâtiment des sciences de la vie qui devrait être fonctionnel d’ici 2026.

Lecteur, tu peux sans doute comprendre et, peut-être un peu, partager, le bonheur et la fierté que je ressens en voyant ainsi unies les trois institutions qui m’ont fait et que j’aime. À Nouria Hernandez, Martin Vetterli, Yves Flückiger, et Henning Stahlberg, je dis ma très grande reconnaissance.