Actualité scientifique de Jacques, Août 2017

Ce mois, je relève en particulier:
– Deux études d’épisodes d’échauffement brusques qui ont eu lieu il y a 11’000 ans et 56 millions d’années. Pour savoir ce qui va nous arriver, il est bon de pouvoir se baser sur autre chose que la modélisation informatique; l’expérience du passé est précieuse. Elle est d’autant plus inquiétante qu’elle montre que ce qui se prépare actuellement est un évènement géologique majeur à l’échelle de centaines de millions d’années. 24.8, p. 443; 31.8, p. 573. En fait, c’est complètement bouleversant au sens géophysique et psychologique du terme.
– Je suis aussi impressionné par l’élargissement du domaine CRISPR-Cas. Ceci porte à imaginer les sommets (ou les abimes) où va nous conduire la nouvelle biotechnologie. 31.8, 543.
– Deux articles de biologie de l’évolution pour lesquels j’aurai besoin de l’aide de mes collègues du DEE. Je viendrai les questionner sur l’évolution des ailes des insectes (24.8, p. 447) et la coévolution du microbiome et de son hôte (3.8, p 43).
– Petite pensée émue pour feu l’ami Jürg Tschop à l’occasion des 15 ans de l’inflammasome. 31.8, 534.
– Le discours intérieur – quand on se parle à soi-même – me parle. J’aimerai échanger mes observations avec celles d’autres personnes. Si quelqu’un en a l’envie, je suis preneur. Sci. Am. 1.08, p. 68.
– Et bien sûr, l’affaire des résultats irreproductibles (24.8, p. 387) à propos de laquelle j’ai aussi quelque chose à dire. Nous y reviendrons.
Courage et joyeuse lecture.

Nous gardons un oeil attentif sur la cryo-ME

Schoebel, S., Mi, W., Stein, A., Ovchinnikov, S., Pavlovicz, R., DiMaio, F., . . . Liao, M. (2017). Cryo-EM structure of the protein-conducting ERAD channel Hrd1 in complex with Hrd3. Nature, 548(7667), 352-355. doi:10.1038/nature23314.

Seulement un article de cryo-me ce mois! Que se passe-t-il?

Pour se consoler, voici le nombre des structures résolues par cryo-me déposées dans la base de données PDB (état en juin 2017). En rouge; le total, en bleu: par année. On n’oublie pas toutefois que pour la diffraction des rayons X le total dépasse 115’000… mais eux ne croissent presque plus.

01.08.2017, Scientific American

– 68 – 73. LANGAGE, PSYCHOLOGIE, COMPORTEMENT. Lucy, Gilles, Clément, Laurée, Jean, Nicolas, j’aimerai bien avoir vos avis. Parler à soi-même. On connait l’enfant qui pense à haute voix. Je le fais aussi. On parle alors de « discours privé ». On appelle « discours intérieur » le fait de se raconter des histoires dans la tête sans parler. Piaget pensait que le discours privé est le signe de l’échec de la communication avec l’autre. Aujourd’hui on pense que discours privés et discours intérieurs sont similaires et qu’ils sont importants à la formation de la pensée et au comportement, non seulement chez l’enfant, mais tout autant chez l’adulte. Ils sont difficiles à étudier, car, y penser, c’est les dénaturer. L’article rapporte les études actuelles dans lesquels le sujet est interpelé au hasard de la journée par iPhone en lui demandant de prendre note de ce qu’il se disait. L’état de discours intérieur peut aussi se visualiser par fMRI.

Le sujet m’interpelle parce que je connais l’importance de mon discours privé et j’ai l’impression qu’en y pensant un peu, j’arrive à mieux le connaitre. Il me semble que cette démarche m’aide aussi à mieux comprendre mes états d’humeurs.

Au matin, dans mon demi-réveil, je vois la vie en noir. J’énumère des problèmes qui me dépassent; ce sont par exemple, le nouveau logement dans lequel Christine et moi devrons aménager avant de ne le plus pouvoir, l’état du monde et, la confrontation aux plus invraisemblables des situations que j’imagine alors. Un fameux exemple m’est resté; c’était lors d’un voyage en Inde, il s’agissait d’aller à la prochaine étape; dans mon demi-sommeil, j’imaginais que la trottinette était le moyen de choix; c’était très compliqué, j’en suis encore traumatisé.

Autre moment de choix pour le discours privé: la longue balade à la montagne. Là, les conditions sont favorables au dialogue entre le discours privé et la pensée rationnelle. Je constate que constamment mon discours privé consiste à anticiper ce qui va venir. Typiquement, si la pente est raide, j’imagine les dangers qui pourraient se présenter et les solutions qui me permettraient de les surmonter. Heureusement que ce n’est pas la pensée de l’ours qui pourrait surgir là devant qui me tarabuste parce que, contrairement aux élucubrations du petit matin, ma problématique est assez raisonnable et les solutions réalistes. Bref, j’anticipe et je me réjouis au fur et à mesure de voir le problème dépassé ou résolu. Tout va bien!

Ces deux moments illustrent le reste de la journée et mes deux façons de me sentir dans vie: (i) c’est affreux, le verre est à moitié vide; (ii) super, il est à moitié plein. Au réveil, c’est systématiquement (i) qui prévaut. Dès que la journée est bien engagée, le müseli avalé et la douche froide bien sentie, c’est (ii) qui s’impose.

Suis-je un fou instable? Est-ce ma physiologie qui se joue de moi? Peut-être que non. C’est un fait, le verre est en même temps à moitié vide et à moitié plein. Heureux celui qui vit avec le bon regard. Peut-il le choisir? Difficilement et seulement partiellement. Ma seule solution est dans la bonne organisation de l’action. Y a-t-il meilleur moyen?

Christine me dit ne pas voir chez elle ce jeu constant avec le possible et ses solutions. Elle se trouve plus contemplative.

Je serais heureux de connaitre ce qu’en pensent mes amis.

Une visite superficielle à la littérature me montre que je ne suis pas seul avec ces pensées.

Watkins, E., & Teasdale, J. D. (2001). Rumination and Overgeneral Memory in Depression: Effects of Self-Focus and Analytic Thinking. J. Abnormal Psychology, 110(2), 353 – 357. doi:10.1037//0021-843X.110.2.353 (disponible chez moi.)

 

03.08.2017, Nature 548, 7665.

– 20, 66 – 69. ANTIMATIÈRE, CERN, ANTIHYDROGÈNE. Un rapport sur la situation expérimentale. Au CERN, 6 expériences s’entassent dans un petit espace pour déterminer ce qu’est l’antimatière. Belle concurrence. Il est difficile de faire un atome d’antihydrogène, le plus simple des atomes d’antimatière. Pour l’antiélectron – le positron -, c’est facile; il est produit par désintégration radioactive à une énergie qui peut être manipulée. Le problème, c’est l’antiproton parce que lui, on ne le produit qu’à une vitesse proche de celle de la lumière. Il faut commence par le ralentir pour pouvoir le manipuler et le faire s’associer au positron. Le décélérateur ELENA du CERN offre cette possibilité qu’il distribue à 6 expériences au moins. La suite est aussi compliquée. Ainsi, on ne sait par exemple toujours pas si la masse de l’antimatière est positive ou négative. Est-ce que l’antihydrogène tombe ou monte si on le lâche du sommet de la tour de Pise? On comprend que la réponse à cette question présente quelque intérêt, mais pour le savoir il faut que l’atome soit refroidi à moins d’un demi-degré Kelvin. On espère une réponse d’ici 2020.

Puisque nous en sommes là, notons que, dans ce même no. est rapporté la détermination de la structure hyperfine de l’antihydrogène, celle qui, pour l’hydrogène normal, est associée à la bande de 21 cm des astronomes. Notons que le phénomène dans l’hydrogène normal est discuté dans un des chapitres clés du 3e bouquin de Feynman, celui consacré à la mécanique quantique. Je l’avais assimilé à l’époque, aujourd’hui, hélas…

Le résultat est que la transition hyperfine de l’hydrogène et celle de l’antihydrogène (mesuré sur 194 atomes) sont identiques à 10-4 près.

 

– 43 – 51. MICROBIOME, ÉCOLOGIE, ÉVOLUTION. Les biologistes évolutionnistes. La richesse génétique des bactéries de notre corps est bien plus grande que celle de nos chromosomes, et alors! Un gros article sur le microbiome, cet écosystème de microbes qui fait partie de tous les organismes complexes, de nous en particulier. Depuis quelque temps, on parle beaucoup d’y intervenir avec, par exemple, l’ambition de soigner à peu près tous nos maux, par exemple, les maladies auto-immunes, cardiovasculaires, l’obésité, le cancer, les maladies mentales, etc.

Cet article part de la constatation que les travaux actuels sur le microbiome visent à comprendre sa fonction et à chercher comment intervenir pour le rendre pleinement utile à l’organisme hôte, nous en particuliers. Les auteurs dénoncent cette vue unicentrique et font valoir qu’il faut, pour comprendre le système, une approche incluant l’hôte et le microbiome dans un contexte évolutif. Ils proposent de considérer le microbiome comme un écosystème évolutif « tenu en laisse » par l’hôte. Ils constatent que cette situation d’écosystème « en laisse » existe dans des situations les plus diverses (par exemple: le gros intestin humain, l’épiderme de coraux, l’épiderme des racines d’une plante). Ils analysent l’évolution convergente de ces systèmes exemplaires et suggèrent que des principes généraux dirigent leur évolution. Pour exercer leurs thèses, les auteurs citent de nombreux exemples intéressants, amusants ou bizarres. Par exemple, le cas de la bactérie Wolbachia qui tue les descendants mâles de son moustique hôte pour promouvoir sa propre transmission qui n’a lieu que par la femelle (un récent article de cette même revue rapporte comment cette propriété est exploitée pour la lutte biologique contre les moustiques). Ou encore, le champignon Ophiocordyceps unilateralis, infectant la fourmi, qui fait que celle-ci monte mourir dans la canopée afin de mieux disperser les spores du parasite.

Ils montrent ainsi que la relation évolutive entre l’hôte et le microbiome n’est pas analysable en se limitant à l’intérêt de l’hôte. Les auteurs insistent sur l’idée que le développement d’une thérapie de l’hôte par action sur le microbiome sera voué à l’échec tant que l’on aura pas compris comment l’amélioration de la fitness de l’hôte peut apporter un bénéfice évolutif significatif au microbiome.

Pour moi, cet article est un bon exercice de pensée évolutive. J’aimerais savoir si, pour mes collègues et amis du DEE, cet article apporte du neuf ou s’il ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes.

 

– 52 – 57 . VIEILLISSEMENT, SOURIS, HYPOTHALAMUS, ÉTHIQUE BIOMÉDICALE. Contrôle du vieillissement de souris (±10%) par manipulation de cellules souches de l’hypothalamus et des miRNAs qu’elles déversent dans le liquide céphalique. On sait que l’hypothalamus joue un rôle dans le vieillissement. Deux régions sont en particulier concernées (Sox2 et Bmil); elles sont associées à la production de divers miRNAs. Les cellules souches correspondantes diminuent avec l’âge. La durée de vie des souris est allongée lorsque ces deux gènes sont stimulés chez les adultes vieillissants. Il en va de même lorsque l’exosome miRNAs de souris adultes saines est injecté dans le liquide cérébrospinal de vieilles souris.

Que dire de ces recherches concernant le vieillissement en général et de ce résultat relativement simple en particulier ?

(i) L’offre de prétendues thérapies basées sur ces observations va sans doute fleurir. En Suisse, ces abus sont en principes interdits. Il semblerait que les Chinois fassent de l’ordre dans ce marché très prisé là bas. La situation US est inquiétante. Il faut voir.

(ii) Indépendamment de la recherche particulière rapportée ici, le domaine du contrôle du vieillissement est un sujet chaud. Il est vraisemblable que, dans pas très longtemps, on disposera de vrais moyens pour ralentir le vieillissement. Qu’en fera-t-on ? Il faut y penser maintenant et s’y préparer.

 

10.08.2017, Nature 548, 7666.

– 148. BIZNESS, OGM, SAUMON. 1ere vente de saumon OGM. Après 25 ans de lutte administrative, la firme US AquaBounty vend pour la première fois 4.5 tonnes de saumon OGM muni du facteur de croissance, et d’un activateur originaire d’une autres espèces de saumon, qui font que le temps pour arriver à la taille de vente est réduit de moitié (18 mois).

La firme AgGenetics qui développe des vaches OGM pour la viande et le lait se réjouit. « S’ils avaient loupé, cela aurait tué l’industrie du bétail OGM pour une génération. »

Vous en réjouissez-vous aussi?

 

– 150 – 152, 175 – 182. NEUROBIOLOGIE, RÉSEAU DE NEURONES, STRUCTURE – FONCTION. Connectome (ensemble des connections neuronales) complet du centre de la mémoire et de l’apprentissage dans le cerveau de la Drosophile. Eichler et coll. Vingt auteurs de presque autant d’institutions aux USA, en Allemagne et en Angleterre.

Comme le fait savoir le Brain and Mind project de l’EPFL, on peut espérer comprendre les fonctions cérébrales en cartographiant le connectome correspondant, c’est à dire, à partir de la carte des neurones impliqués dans la fonction ainsi que de toutes leurs synapses. Ce n’est pas dans la poche, mais beaucoup y travaillent. Avant d’aborder le cerveau humain (86.109 neurones), on peut s’exercer avec le vers Caenorhabditis (300), la Drosophile (135’000) ou, comme c’est le cas ici, la Drosophile à un stade larvaire (15’000). Même si celle-ci est moins subtile que l’adulte, on lui connait au moins 30 actions caractéristiques quelle sait adapter et coordonner. Le présent article présente le circuit complet des corps champignonaires (?) (Mushroom Bodies, MB) dont la fonction est associée à l’apprentissage et la mémoire. Le modèle est construit à partir de coupes sériées observées au microscope électronique. C’est beaucoup, beaucoup de travail, mais la résolution permet une identification de toutes les synapses, ce que ne permet pas la microscopie optique, même la meilleure. Tel que je la comprends, la principale découverte est que les neurones caractéristiques des MB (cellules de Kenyon) sont connectés de manière apparemment aléatoire sauf une minorité de connections provenant de neurones à projection unique. Les auteurs voient dans cette forme de structure la force organisatrice de la structure de base (inné) sur laquelle agit la diversité propre à l’apprentissage (acquis).

 

– 206 – 9. COMPORTEMENT, INSECTE, POLLINISATION. Lumière artificielle: une menace sur la pollinisation. On raconte – on cite même Einstein – que si les abeilles disparaissent, la disparition de l’humanité suivra rapidement. Citation fausse à propos d’un problème plus compliqué. L’article de Knop et coll. de l’Institut d’Ecologie et Evolution de l’université de Berne apporte une lumière nouvelle. D’abord, les auteurs nous rappellent que la pollinisation d’une plante n’est généralement pas le fait d’une seule espèce spécialisée, mais d’une grande diversité d’intervenants, de jour comme de nuit. On se rappelle aussi que l’éclairage a son importance comme l’illustre la lamentable relation du papillon et de la bougie.

Les expériences que les auteurs présentent ici démontrent que l’éclairage nocturne des plantes diminue la pollinisation nocturne de 60% et influence négativement la pollinisation globale. Pire, la perturbation lumineuse nocturne perturbe également la pollinisation diurne. Clairement – si l’on peut dire – la lumière nocturne est néfaste à l’écosystème de la plante.

La pollinisation n’est pas l’affaire d’une espèce, mais d’un biotope.

17.08.2017, Nature 548, 7667.

– 268 – 9. NEUROIMAGERIE, CARTOGRAPHIE CÉRÉBRALE, CHINE.

Un service de cartographie des réseaux neuronaux en Chine. On a vu des services de synthèse de protéines, de séquençage d’ADN, même de cryo-microscopie électronique, mais voici du neuf chez les chinois, à Suzhou. Vous leur donnez un bout de cerveau (humain, mouche ou autre) et eux, le coupent en tranches minces, en font des images au microscope (optique) et, sur cette base, en construisent un modèle 3-d. Vous pouvez alors suivre les neurones de votre région favorite et, avec un peu (beaucoup) de chance, comprendre comment elle fonctionne. Une grosse étape suivante consisterait à faire la même chose par microscopie électronique, mais ce n’est pas encore ce dont il s’agit ici.

Ces Chinois ne sont pas les seuls à faire de la cartographie neuronale (cf. Brain project # EPFL), mais c’est la première fois qu’elle est offerte sous forme de service.

 

– 272 – 274. DIAGNOSTIC PRÉIMPLANTATOIRE, ETHQUE, MÉDECINE REPRODUCTIVE, CHINE.

La Chine se lance dans le diagnostic préimplantatoire (DPI). Il s’agit de la technique qui permet de tester génétiquement un embryon avant de l’implanter. Nous avons voté récemment à ce propos en Suisse: sous conditions limitatives sévères, le DPI est autorisé sous conditions strictes; il ne peut être utilisé que pour éviter les maladies sévères de la liste officielle ; la sélection de convenance n’est pas autorisée, par exemple choisir le sexe ou la couleur des yeux. La plupart des pays développés ont leurs règles; les USA sont particulièrement laxistes. Les Chinois sont nouveaux dans le domaine, mais ils arrivent fort avec un plan quinquennal qui fait de la médecine reproductive une priorité dans un cadre strict qui exige une licence pour pratiquer selon des règles plutôt sévères (comme chez nous, pas de choix du sexe ni de caractères vagues). Par contre, la culture chinoise n’a aucun état d’âme à détruire un embryon malade. Un cas, comme on a vu aux USA, où des parents sourds veulent s’assurer par DPI que leur enfant sera sourd aussi, dépasse l’entendement des Chinois. Semblablement pour le fait que, chez nous, un grand nombre de parents gardent l’enfant même quand le test génétique qu’ils ont demandé révèle un cas de mongolisme. Pour les chinois, le but du programme est clair: identifier et éliminer le plus grand nombre de maladies génétiques possible (il y en a 6000 à considérer). Ils partent fort.

Ah ces Chinois! Que faut-il en penser?

Voir aussi mes rapports récents: 25.05, p. 385; 1.6, p 15. Grrrr!

24.08.2017, Nature 548, 7668.

– 387 – 388. RÉSULTATS INDÉFINIS, RÉSULTATS IRREPRODUCTIBLES, ERREUR, MAUVAISE SCIENCE. Les éthiciens, les apprentis chercheurs. Lithgow et coll. Le long chemin vers les résultats reproductibles (ou irreproductibles?)

Au tournant des années 1980, Erwin Knapek et moi avons fait une grande bêtise. Nous avons annoncé une importante découverte (à laquelle bien d’autres se sont associés) que nous n’avons pas pu reproduire 2 ans plus tard. Publication, contre-publication, synthèse collective… heureusement, c’est nous qui avions identifié l’erreur. À cette affaire, largement débattue, il manquait une pièce, l’analyse de comment deux jeunes chercheurs peuvent se laisser prendre par leur biais. Trente-cinq ans plus tard, c’est ce que nous sommes en train de faire avec le ferme espoir que Nature acceptera de publier ce bout d’histoire qui prend depuis peu une nouvelle actualité avec la « révolution de la cryo-me ».

L’article que je rapporte ici a quelques similarités – mais peut-être aussi une différence fondamentale. Le premier auteur avait annoncé il y a 15 ans qu’untel produit prolongeait la vie des petits vers Caenorhabditis elegans de jusqu’à 67%. Une grosse affaire, qui s’est rapidement révélée irreproductible dans plusieurs autres laboratoires. Dans le présent article, l’auteur initial, ainsi que 2 autres personnes concernées par l’affaire, essaient d’y voir clair. Leur constatation est que ces expériences sont laborieuses, il y a beaucoup de variables très diverses et très difficiles à maitriser comme aussi plein d’incertitudes que l’on ne connait même pas. Toutefois, il y a un facteur qui n’est pas mentionné, c’est l’éventuel biais des chercheurs qui pourrait favoriser un résultat plutôt qu’un autre. Pas un mot de cela, c’est l’impasse, c’est sous le tapis!

Soyons clairs, je ne sais rien de l’éventuelle prolongation de la durée de vie par les drogues. Je ne sais pas non plus si l’article initial discuté ici doit être considéré comme juste ou faux; l’analyse rapportée ici ne le dit pas. Toutefois, il me semble problématique que l’éventuel rôle du biais des chercheurs ne soit même pas envisagé. Aujourd’hui avec la pléthore de résultats qui ne peuvent pas être reproduits, il n’est pas sérieux de traiter de l’irreproductibilité sans considérer le biais subjectif.

Dans notre article en préparation, nous traitons bien sûr des difficultés expérimentales objectives qui peuvent entacher la reproductibilité des résultats, mais nous ne nous arrêtons pas là; nous discutons le biais subjectif qui a faussé notre travail. À ma connaissance, une telle prise de position n’est pas courante. Peut-être, avec 35 ans de retard, allons-nous faire œuvre de pionnier!

À suivre, bientôt j’espère.

 

– 401 – 403, 447 – 450. ÉVOLUTION, MUTATION, SPÉCIATION. Les DEE-istes et autres évolutionistes. Houle et al. 40 millions d’années d’évolution des ailes d’insectes. Il y a la microévolution: des mutations par-ci et par-là changent le tracé des veines dans l’aile d’un insecte; il y a la macroévolution qui est associée à l’apparition de nouvelles espèces et de nouvelles capacités. Comment passer de la première à la seconde. Question essentielle à laquelle les auteurs semblent apporter une vraie contribution. Hélas, l’article est difficile; je le laisse tomber pour le moment en espérant y revenir avec l’aide de mes collègues du DEE. Merci d’avance.

 

– 403 – 4, 443 – 446. MÉTHANE, GES, GAZ À EFFET DE SERRE, GLACE ANCIENNE, ÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE. Jean-Pierre K. Petrenko et coll. Des éclaircissements sur le cycle du méthane dans l’atmosphère: de quoi nous inquiéter.

Le méthane est un puissant gaz à effet de serre (GES). Sa concentration avant l’époque industrielle était de 700 ppbv (700×10-9 en volume) – voir figure. Elle est maintenant de 1800! (pas inclus dans la figure) responsable pour 15% de la contribution anthropogène. Dans l’histoire, sa concentration a subi des variations soudaines, par exemple il y a 14’700 ans et 11600 ans (l’époque où se terminait la dernière grande glaciation). Il faut aussi savoir que les études, dans les glaces du Groenland, en particulier, montrent que, 25 fois durant la dernière glaciation à, en moyenne, 1500 ans d’intervalle, ont lieux des anomalies climatiques extrêmement brusques (5 -16° en quelques dizaines d’années – ce qui ne veut pas dire que toute la Terre s’est réchauffée si vite d’autant). Ce sont les évènements Dansgaar-Oeschger (DOE) dont on ne connait guère la cause. Le dernier a eu lieu il y a 11’600 ans (dernière montée brusque dans la figure). C’est ce moment qui est analysé dans le présent article.

Le C14 radioactif, dont la période est de quelque 4000 ans, est produit par interaction avec les rayons cosmiques de la haute atmosphère. On peut donc différencier deux types de méthane: (i) le méthane fossile ou géologique (paléométhane), enfoui depuis longtemps, qui ne contient pratiquement plus de C14; (ii) le méthane biologique récent (néométhane) des terrains humides ou autres tourbières récentes qui contient du C14. Le présent article mesure l’apport de ces deux origines lors de l’échauffement brusque pendant le DOE d’il y a 11600 ans. Le résultat est que le méthane fossile a joué un rôle bien moindre qu’on le croyait jusqu’ici (15 MT et non 52 MT).

Conclusions (pas triviales, mais argumentée dans l’article). Le paléométhane est généralement moins libéré dans l’atmosphère que l’on ne le croyait. Ceci est vrai en particulier lors d’épisodes d’échauffement rapides. On peut ainsi déduire que c’est surtout le néo-méthane qui est responsable des variations soudaines de concentration observées dans l’atmosphère. Suite de la conclusion: il faut admettre que la production de méthane anthropogène a été sous-estimée par au moins 25%.

Bref, le méthane est un GES plus dangereux qu’il n’y parait.

 

31.08.2017, Nature 548, 7669.

– 505. MÉDICAMENT, PRIX, BIZNESS. Une note.

Il existe depuis quelques années un bon médicament contre l’hépatite C, le sofosbuvir de Gilead Sciences en Californie. Tout le monde reconnait le beau travail de recherche qui a conduit au développement de ce remède et admet qu’il soit normal que la firme en tire bénéfice. Au début, si je me souviens bien, le traitement coutait dans les 200’000$. Actuellement il vaut 84’000$ aux USA. En Suisse, toujours si je ne me trompe, l’assurance maladie de base ne le rembourse que lorsque la maladie a atteint le stade avancé.

Le prix de production effectif devrait se situer dans les 50$. Depuis peu, des génériques sont autorisés dans 101 pays en voie de développement où ils sont vendus à un prix qui peut être aussi bas que 300$. La présente note rapporte que Gilead Science va autoriser la production de génériques dans plusieurs grands pays à revenu intermédiaires (Malaysie, Thaïlande, Ukraine).

La note semble n’être qu’un détail, mais elle met le doigt sur une question fondamentale: est-il éthiquement tolérable que le prix de  médicaments et procédure médicales vitaux soient uniquement déterminés par le marché et la possibilité pour les producteurs d’en tirer le maximum de sous? La réponse est évidemment « non ». La question subsidiaire est plus réaliste: est-ce politiquement tolérable?

On admire l’engagement d’ONG comme MSF ou la Déclaration de Berne (maintenant Public Eye) qui luttent, avec un succès quand même remarquable, pour que chacun ait accès selon ses besoins et non selon ses moyens. Le combat politique qu’ils mènent est exemplaire. Le cas du SIDA fait école. La présente note concernant l’hépatite C en est un autre chapitre. Le chemin est encore long jusqu’à ce que l’article 25 de la Déclaration des droits de l’homme (25. Droit au bienêtre: toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé… notamment… pour les soins médicaux) soit généralement appliqué. En attendant, réfléchissons à la gouvernance qui permettra d’atteindre ce but.

 

– 534 – 5. INFLAMMASOME, JÜRG TSCHOPP, IN RETROSPECT. Clément Susanna, Jacques D., Bernard R. Une rétrospective par M. Lamkanfi et V.M. Dixit. L’inflammasome à 15 ans. Petite pensée émue pour Jürg Tschopp, notre collègue et ami mort en 2011 dans un accident de ski.

Quand je suis venu à l’UNIL, à la fin des années 80, Jürg m’a fait connaitre la mort cellulaire, l’apoptose, qui élimine proprement les cellules qui doivent l’être, par exemple en automne, quand la tige des feuilles les laisse tomber. Ensuite, il s’est occupé de la réponse inflammatoire à des agressions extérieures – au passage, il a dit grand-mal des nanoparticules d’oxyde de titane utilisées dans tant de produits cosmétiques. Le sujet de l’immunité innée a continué à se compliquer avec la découverte d’innombrables signaux moléculaires (les cytokines) et des cascades de protéines agissantes l’une sur l’autre, dont les caspases sont les seules à avoir un nom dont je peux me souvenir. Et puis, en 2002, Jürg a annoncé, avec ses collègues Martinon et Burns, la découverte de l’inflammasome, ce grand complexe oligomérique qui s’active dès que quelque chose ne va pas dans la cellule (j’exagère, l’inflammation est plus spécifique que cela). L’importance médicale de la découverte a tout de suite été reconnue.

Je n’ai pas encore vu que la nouvelle cryo-me se soit penchée sur cette grande et magnifique structure. Si Jürg était encore parmi nous et si j’étais resté actif en cryo-me, nous aurions certainement repris notre collaboration.

 

– 527 – 8, 543 – 8. CRISPR-CAS, MESSAGER SECONDAIRE, OLIGOADENYLATE CYCLIQUE. Les biologistes moléculaires. Niewoehner et al. Biochimie, chimie, Uni Zürich.

Dans la prolongation du § précédent, parlons des oligoadénylates, ces messagers secondaires de l’immunité innée des eucaryotes, qui induisent la destruction aspécifique des ARN lors d’une attaque virale. Ici est rapporté qu’une forme cyclique des adénylates est aussi messager secondaire dans le système CRISPR-Cas des bactéries, ce système dont nous avons beaucoup parlé et qui est à la base de la révolution biotechnologique de ces dernières années.

La figure (K. Johnson et S. Bailey p. 527) schématise la découverte. Elle concerne le domaine Palm, 3e région fonctionnelle du complexe d’interférence CRISPR-Cas. Les auteurs ont trouvé que sa fonction consiste à synthétiser un oligoadenylate cyclique, qui est un nouveau messager secondaire dont la fonction consiste à activer l’ARNase non spécifique Csm6. La cellule est mise ainsi en arrêt forcé, le temps aux ADNases spécifiques produites ailleurs sur le complexe d’interférence de faire leur effet.

Les auteurs y voient (i) une petite révolution dans la messagerie secondaire des procaryotes (avec les éventuelles retombées médicales dans la lutte, tant contre les virus que contre les bactéries). (ii) Ils se posent la question de la relation évolutive entre les adenylates des eucaryotes et ceux des procaryotes. (iii) Nous remarquons que le système CRISPR-Cas n’a pas fini de nous étonner.

 

– 531 – 3, 573 – 7. PALÉOCLIMAT, MÉTHANE, GES. Jean-Claude K., Climactionistes. Que nous prépare le changement climatique actuel?

De Nature d’il y a deux semaines (17.8 p. 443), nous rapportions le brusque changement climatique produit il y a 11’000 ans par une soudaine augmentation de la concentration de méthane dans l’atmosphère. Seulement voilà, depuis lors la concentration en gaz à effet de serre (GES) a augmenté. Elle atteint actuellement un niveau qui ne s’était pas vu depuis trois-millions d’années. Ainsi, pour que notre compréhension de ce qui nous attend ne dépende pas seulement de la modélisation sur ordinateur il faut aller chercher plus en arrière les données expérimentales qui pourraient nous éclairer. Le présent article étudie un évènement de brusque réchauffement climatique 4-5° qui a eu lieu il y a 56 millions d’années, le Maximum thermique du Paléocène/Éocène (PETM).

En géologie, il est commun de trouver les traces d’évènement brusques qui ont eu lieu il y a un grand nombre de millions d’années, mais il est beaucoup plus difficile de déterminer comment s’est déroulé l’évènement. Par exemple, on discute encore ferme pour savoir si l’extinction des dinosaures à la fin du Crétacé il y a 66 millions d’années est due à l’impact d’un météore ou à une épidémie volcanique qui se serait déroulée sur quelques dizaines de milliers d’années.

Dans le présent article, Gutjahr et coll. rapportent une analyse fine des sédiments marins déposés lors du PETM. Ils y déterminent les concentrations isotopiques du Bo qui corrèle avec le pH de l’eau au moment du dépôt sédimentaire. De là ils retracent la concentration en CO2 à la surface océanique durant le cours de l’évènement.

Ils découvrent ainsi qu’un temps de volcanisme intense est à l’origine de l’augmentation de la concentration de GES et que ce relâchement s’est étendu sur un grand nombre de milliers d’années. L’enfouissement d’une grande quantité de matière organique associé à l’évènement semble avoir été important pour mitiger l’augmentation de la température et accélérer la convalescence du milieu écologique terrestre (pour les êtres vivants, la vie était probablement bien dure à cette époque). Pour nous, il est surtout important de remarquer que, contrairement au PETM, l’augmentation actuelle de GES ne provient pas de volcanisme, mais qu’elle est surtout due à la combustion directe des réserves géologiques et que cela se passe un rythme bien plus grand que lors du grand dérèglement d’il y a 56 millions d’années.

Eh oui! L’échauffement climatique actuel est vraiment la prémisse – il va falloir se bouger pour freiner son plein développement – d’un évènement géologique majeur de l’histoire de la Terre. L’Anthropocène n’est pas qu’un mot.