Réponse à la réponse de Jean Martin.

Cher Jean,

Mathilde et moi avions écrit un billet intitulé « Il nous faut une révolution » (en copie ci-dessous). Il a été publié le 9 avril dans Le Temps. Tu y as répondu par une courte lettre de lecteur intitulée « Climat, le besoin d’approche diverses ». Elle a été publiée le 17 avril, également dans Le Temps. Tu m’as permis d’en mettre copie ci-dessous. J’y

Tu crains que notre appel à la révolution « risque de ne susciter que des sourires condescendants ». Tu préfères « le débat courtois à la recherche de ce qui peut être accepté par une majorité ». 

Là, je m’étonne. 

Comme tu sais, je suis un scientifique. Pour moi, cela veut dire que je m’efforce de n’accepter que la nature pour maître. Or, actuellement, la nature parle haut et fort. Elle nous dit que la civilisation humaine court à sa fin prochaine. J’entends ce message et je comprends que seule une révolution peut nous sauver. Comme toi, j’aime mon pays et les belles valeurs – pas les autres – qu’il porte encore. Alors, je m’engage.

Toi aussi !  Mais, je lis que la voix que tu écoutes est différente. Elle appelle à fonctionner « à la Suisse », dans le débat courtois à la recherche de ce qui peut être accepté par une majorité.

Est-ce à dire que, si je veux suivre la nature, toi, tu préfères marcher avec l’opinion publique ?J’ai besoin d’explications

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Article de Mathilde et Jacques paru dans le Temps le 9.4.24.

Il nous faut une révolution

Le monde est en folie, notre civilisation court à sa perte. C’est pour maintenant ou, au plus tard, dans une, deux ou trois décennies. La science le prouve, tout le monde le sait, sauf les personnes qui ont décidé de refuser l’évidence, ou celles qui n’ont pas accès à l’information. Avec beaucoup d’autres, nous ne supportons pas que les assassins de la vie et du climat continuent d’accroître leur sordide business sous l’œil résigné de nos soi-disant responsables politiques. Mathilde est jeune (26) et lutte depuis son adolescence pour la solidarité et l’écologie. Elle sait que son combat radical ne peut progresser qu’en commun. Jacques est vieux (81), sur le déclin, mais ne cessera de croire que l’avenir est toujours ouvert.

Jacques s’est exprimé récemment devant deux assemblées. Dans les deux cas, le message était à peu près le même. Je présentais quelques données fortes et simples sur l’état de la vie et du climat. Je proposais aussi la solution ; il faut tout changer, il faut une révolution, elle ne peut se faire qu’ensemble. L’une de ces rencontres a eu lieu dans la salle communale bondée d’un village vaudois. L’âge moyen n’était pas très différent du mien. J’y étais reçu avec la gentillesse touchante des gens qui me veulent du bien – merci à eux. Pourtant, j’ai vite compris que le message ne passait pas bien. Le dernier graphique montrant l’élévation de la température des océans, comme aussi mon appel à l’action, n’impressionnait guère l’assistance. J’ai pris comme un choc la remarque qui m’a semblé résumer la discussion : « Votre message est sinistre et vous n’avez pas de solution ». Zut alors ! Et voilà pourquoi le gros de nos concitoyens se satisfait d’un tout petit peu d’action personnelle et suit docilement l’inaction de nos dirigeants. La deuxième rencontre a eu lieu face à 250 étudiants d’un gymnase vaudois. Même bienveillance, mais ambiance radicalement différente. Attention haletante, yeux pétillants, et, tel que je l’ai perçue, réception 5/5 du message « il faut y aller ». Ils ont compris que c’est de leur vie qu’il s’agit. Ils veulent la défendre. Ils le peuvent. À nous les vieux de les soutenir. 

Jacques a coutume de croire que les jeunes vont changer le monde. Quand il dit que la seule solution est une révolution, je souris : oui, et comment ? D’abord, en réalisant qu’une minorité s’accroche à la marche néolibérale du monde en nous privant d’un futur libre, égal, digne et enviable. Les bénéfices de Total Énergie ont explosé en 2023, année la plus chaude jamais enregistrée, alors que près de la moitié des habitants du monde sont pauvres. Les industries pétrolières, dans les années 1980, ont payé cher les campagnes visant à cacher au public les données sur le réchauffement climatique. En février, alors que la bande de Gaza était décimée dans un élan génocidaire terrifiant, 1000 jets privés décollaient du Superbowl de Las Vegas. Nous ne sommes pas égaux dans le désastre. Mais « les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genou ». La révolution commencera par soutenir matériellement ceux qui changent le monde. Elle passera par une alliance étroite entre un engagement parlementaire et mobilisant les droits populaires qui soit résolument radical – car à la hauteur des enjeux –, et la participation à des mouvements sociaux larges. En 2019, preuve que l’activisme fonctionne, les marches pour le climat sont parvenues à faire reculer les investissements fossiles des banques suisses ! Et l’arrêt que doit rendre ce 9 avril la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme suite à la plainte des Aînées pour le climat s’annonce déjà comme historique. Le changement viendra également des luttes spatiales et locales, à chaque coin de quartier et de village, comme à Vufflens et sur le Mormont contre les gravières polluantes de Holcim et Orllati SA, ou contre 177 canons à neige à Leysin. Ce tournant inclura la justice et l’égalité : la solidarité internationale sera notre boussole, de même que la lutte contre les replis identitaires et le racisme systémique, en soutien par exemple aux familles de Lamine Fatty, Roger Nzoy et Mike Ben Peter, tués par des policiers en Suisse, comme le rappelait une table ronde au Festival International du Film des droits humains à Genève. On y entendait la grande Angela Davis dire que l’espoir est une discipline ; que le travail des activistes consiste à créer l’espoir. À nous tous qui en avons le pouvoir, de le faire vivre.

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Réponse de Jean Martin au billet de Mathilde et Jacques.

Publié le 17 avril, comme lettre de lecteur au Temps.